GCT 1 2 1942

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-School ofiAedicine,

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LEÇONS

MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

LEÇONS /

SUR LES

MALADIES DU SYSTÈME MIEUX

FAITES A LA SALPÉTRIÈRE

PAR

J.-M. ÇH ARGOT

Professeur à la Faculté de médecine de Paris, Médecin de la Salpétrière.

Membre de l'Académie de médecine, de la Société clinique de Londres

de la Société clinique de Biula-Pesth,

de la Société des Sciences naturelles de Bruxelles,

Président de la Société anatomique. Ancien vice-président de la Société de Biologie, etc.

RECUEILLIES ET HJBLIÉES r.vR

boi il \ i; v s i,a,« ;

Rédacteur eu chef du Progrès médical.

TOME PREMIER. Troisième édition.

PARIS

V. ADRIEN DELAHAYE ET O, LIBRAIRES-ÉDITEURS

PLAGE DE l'ÉCOLE-DE-MÉDECIXE

1877

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PREMIERE PARTIE

Des troubles trophiques consécutifs aux

maladies du cerveau

et de la moelle épinière.

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\ 1813

PREMIÈRE

Troubles trophiques consécutifs aux lésions des nerfs.

Sommaire. Remarques préliminaires. Objet des conférences de cette année ; elles seront consacrées à celles des maladies du système nerveux et, en particulier, delà moelle épinière, que l'on observe le plus habituellement à la Salpétrière. Troubles de nutrition consécutifs aux lésions de l'axe cérébro-spinal et des nerfs. Ces altérations peuvent occuper la peau, le tissu cellulaire, les muscles, les articulations, les viscères. Importance de ces altérations au point de vue du diagnostic et du pronostic. Troubles de nutrition consécutifs aux lésions des nerfs périphériques. Le sys- tème nerveux, à l'état normal, a peu d'influence sur l'accomplissement des actes nutritifs. Les lésions passives des nerfs ou de la moelle, ne pro- duisent pas directement de troubles trophiques dans les parties périphé- riques ; expériences qui le démontrent. Influence de l'irritation et de l'inflammation des nerfs ou des centres nerveux sur la production des troubles trophiques. Les troubles trophiques consécutifs aux lésions traumatiques des nerfs, considérés en particulier. Ils résultent, non des sections complètes, mais des sections incomplètes, des contusions, etc., des troncs nerveux. Eruptions cutanées diverses : Erythème, zona traumatique, pemphigus. Grlossy Skin des auteurs anglais. Lésions musculaires : atrophie. Lésions articulaires ; lésions osseuses : périos- tite, nécrose. Troubles trophiques consécutifs aux lésions non trau- matiques des nerfs ; leur analogie avec ceux qui résultent des lésions traumatiques. Troubles trophiques de l'œil, dans les cas de tumeur comprimant le trijumeau. Inflammation des nerfs spinaux, consécutive au cancer vertébral, à la pachyméningite spinale, à l'asphyxie par la vapeur de charbon, etc. Eruptions cutanées diverses (zona, pemphigus, etc.), atrophie musculaire, arthropathies, qui, en pareil cas, se dévelop- pent en conséquence de la névrite. Lèpre anesthésique : périnévrite lépreuse, lepra mutilans.

Messieurs,

Ce n'est jamais sans quelque émotion, mais aussi sans une grande satisfaction que j'inaugure chaque année les conférences que vous venez entendre. Je retrouve tou-

Charcot, t. i, 39 édition. 1

2 REMARQUES PRÉLIMINAIRES.

jours, en effet, dans cette circonstance, des visages amis, d'anciens élèves, quelques-uns passés maîtres, d'autres ayant déjà marqué, dans la carrière qu'ils parcourent, des traces brillantes. Leur présence m'est un grand confort et je suis heureux de leur en témoigner toute ma gratitude.

L'afïïuence, aujourd'hui, d'un auditoire plus nombreux que de coutume, me semble une preuve convaincante que je ne m'étais pas trompé lorsque je pensai, il y a cinq ans, que ce grand emporium des misères humaines nous nous trouvons rassemblés, pourrait devenir un jour le siège d'un enseignement théorique et clinique vraiment utile (1).

Sans doute, Messieurs, le champ d'observation qui nous est ouvert, n'embrasse pas la pathologie tout entière. Mais, tel qu'il" est, n'est-il pas déjà bien vaste? D'un côté, il offre à nos études les affections de l'âge sénile, qui méri- tent bien qu'on s'y arrête quelque temps. En second lieu, parmi les affections chroniques, il nous livre, réunies en grand nombre et dans des conditions particulièrement fa- vorables aux recherches, les maladies des systèmes nerveux et locomoteur, si communes et par conséquent si intéres- santes pour le médecin, maladies dont la pathologie com- mence seulement depuis une vingtaine d'années à se déga- ger de l'obscurité profonde elle était plongée jusque-là.

Quant à moi, Messieurs, je n'ai jamais douté que l'hos- pice de la Salpétrière, ne dût devenir, et pour les maladies des vieillards, et pour beaucoup de maladies chroniques, un foyer d'instruction incomparable. Il suffirait, pour réa- liser cette idée, d'apporter quelques modifications dans les arrangements intérieurs de cet établissement. Or, je suis bien aise de pouvoir vous annoncer que les événements sont, en ce moment, tout-à-fait favorables à nos vues.

Déjà, une décision que nous n'avons pas réclamée a mis entre nos mains un service de près de 150 lits il nous est donné d'observer toutes les formes de l'épilepsie et de

(t) Cette leçon a été faite en mai 1870.

OBJET DE CES CONFERENCES. 3

l'hystérie grave. Ce n'est pas tout. M. le directeur de l'Assistance publique a formé le projet d'ouvrir dans cet hospice une consultation consacrée surtout aux malades atteintes d'affections chroniques et une salle elles pour- ront être admises temporairement, en certain nombre, pour y être traitées.

Lorsque tous ces éléments d'études auront été groupés et organisés en vue des investigations scientifiques et de l'enseignement clinique, nous posséderons à Paris, je n'hésite pas à le dire, une institution qui, dans son genre, ne saurait guère avoir de rivale (1). J'espère être assez heureux pour voir bientôt ce plan réalisé dans toutes ses parties. Mais, si des circonstances que rien ne fait présager m'appelaient ailleurs, ce serait encore pour moi une vive satisfaction de voir mes successeurs couronner l'édifice dont je n'aurais pu que jeter les premiers fondements.

Messieurs, votre temps est précieux et je ne veux pas étendre outre mesure ce préambule. Il est temps d'arriver à l'objet spécial de ces leçons. Je me propose de vous en- tretenir surtout, cette année, de celles des maladies du sys- tème nerveux et, en particulier, de la moelle épinière, qui s'offrent le plus souvent à notre observation dans cet hos- pice. Il me répugnerait d'entrer, dès la première entrevue, dans des détails par trop techniques ; j'ai pensé qu'il serait plus convenable d'appeler votre attention sur une question d'une portée générale et que nous retrouverons à chaque pas dans le cours de nos études.

I.

Les lésions de l'axe cérébro-spinal retentissent fréquem- ment sur les diverses parties du corps et y déterminent par la voie des nerfs, des troubles variés de la nutrition. Ces

(l) Ce projet ne s'est malheureusement pas encore réalisé (juin 1877).

4 TROUBLES DE NUTRITION.

affections secondaires constituent un groupe pathologique des plus intéressants. Aussi consacrerai-je quelques séances à tracer devant vous les principaux traits de leur histoire.

Les lésions consécutives, dont il s'agit, peuvent frapper la plupart des tissus et occuper les régions du corps les plus diverses : la peau, par exemple, le tissu cellulaire, les muscles, les articulations, les os eux-mêmes, ou enfin les viscères. Elles présentent le plus souvent, à leur ori- gine du moins, les caractères du processus inflammatoire. Souvent, elles ne jouent dans le drame morbide qu'un rôle accessoire, car elles sont simplement surajoutées alors aux symptômes habituels : hyperesthésie, anesthésie, hyperkiné- sie, akinésie, incoordination motrice, etc. Mais, pour n'avoir d'intérêt qu'au point de vue de la physiologie patholo- gique, elles ne doivent pas, cependant, être négligées.

D'autres fois, au contraire, ces lésions acquièrent aux yeux du clinicien, en raison, soit des graves désordres qu'elles occasionnent, soit des signes diagnostiques ou pro- nostiques qu'elles fournissent, une importance majeure. Permettez-moi d'appuyer cette proposition sur quelques exemples.

L'an passé je vous montrais et je reviendrai bientôt encore sur ce point comment l'eschare fessière, déve- loppée dans le cours de l'apoplexie par hémorrhagie céré- brale ou par ramollissement du cerveau, permettait de por- ter un pronostic d'une certitude presque absolue.

Les eschares sacrées, les affections des reins et de la vessie qui se produisent avec tant de rapidité dans certaines maladies aiguës ou dans les exacerbations de quelques maladies chroniques de la moelle épinière sont souvent la cause immédiate de la mort.

Une artliropatUie survenue dans le cours de Fataxie lo- comotrice, pourra priver définitivement le malade de l'usage d'un membre qui, pendant longtemps encore, eût pu lui rendre des services.

TROUBLES DE NUTRITION. l>

Quelquefois, enfin, ces lésions trophiques consécutives donnent le change au clinicien qui les prend pour la mala- die tout entière. Telles sont certaines formes de Y atrophie musculaire progressive considérées naguère comme des affections primitives des muscles, et dont le point de départ est, en réalité, dans certaines altérations de la substance grise de la moelle épinière.

Multiplier ces exemples serait, je crois, superflu, car, dès maintenant, vous voyez l'intérêt qui s'attache à l'étude de ces lésions trophiques.

Le pouvoir de déterminer, sous certaines influences mor- bides, des lésions de nutrition dans les parties extérieures du corps ou dans les viscères n'est pas uniquement dévolu au cerveau et à la moelle épinière. Ces centres partagent ce privilège avec les nerfs qui émanent d'eux. Mais les affec- tions consécutives résultant des lésions protopathiques, dé- veloppées dans les départements les plus divers du système nerveux, ont entre elles, malgré quelques différences spé- cifiques, les analogies les plus grandes ; de telle sorte que, pour le clinicien appelé à reconnaître ces affections, la question de savoir quelle a été la circonscription du sys- tème nerveux primitivement affectée et d'où dérive la lésion trophique est maintes fois très-difficile à résoudre.

Cette considération m'engage à ne pas restreindre notre étude aux seules lésions trophiques de cause cérébrale ou spinale. Celles-ci seront, si vous le voulez, notre objectif; mais nous croyons utile de tracer parallèlement l'histoire des troubles trophiques qui apparaissent à la suite des lé- sions des nerfs périphériques. N'est-ce pas, d'ailleurs, un des grands avantages de la méthode comparative que de faire naître la lumière du contraste ? Pour limiter notre champ d'études, nous n'envisagerons que ceux des troubles trophiques qui apparaissent dans le domaine périphérique du nerf lésé ; pour ce qui est des altérations de nutrition qui se manifestent par suite d'actes réflexes, à une dis-

G TROUBLES DE NUTRITION.

tance plus ou moins éloignée et dans le domaine de nerfs qui n'ont subi directement aucune atteinte de la lésion primitive, c'est un sujet fort intéressant, sans doute, mais qui mérite d'être traité à part.

IL

En m'entendant parler, Messieurs, des troubles de la nutrition qui naissent sous l'action des lésions des centres nerveux ou des nerfs, la plupart d'entre vous se sont, sans aucun doute, immédiatement remis en mémoire le problème correspondant qui se débat en physiologie normale.

Rien de mieux établi en pathologie, j'espère vous le dé- montrer du moins, que V existence de ces troubles trophi- ques consécutifs aux lésions des centres nerveux ou des nerfs. Et cependant la physiologie la plus avancée enseigne, vous le savez, que, à Vétat normal, la nutrition de diffé- rentes parties du corps ne dépend pas essentiellement d'une influence du système nerveux.

La contradiction paraît formelle ; elle n'est qu'apparente. Je vais essayer de le prouver, et, dans ce but, je vous de- mande la permission de faire une courte incursion dans le domaine de la physiologie expérimentale.

Pour montrer que les actes chimiques de rénovation mo- léculaire qui constituent la nutrition ne sont pas sous la dépendance immédiate du système nerveux, on invoque, vous le savez, des arguments de plusieurs ordres.

Les actes les plus compliqués de la vie de nutrition s'accomplissent dans certains organismes sans l'interven- tion du système nerveux. C'est ainsi que les végétaux, quelques animaux inférieurs (protozoaires), dépourvus de système nerveux, n'en vivent pas moins d'une manière très- active. L'embryon, dit-on encore, n'accomplit-il pas déjà les actes de la vie organique, aune époque il ne possède encore aucun élément nerveux ?

TROUBLES DE NUTRITION. 7

On s'appuie ensuite sur ce fait que certains tissus, chez les animaux supérieurs mêmes, sont totalement privés de nerfs et de vaisseaux. On cite comme exemples les cel- lules épithéliales, les cartilages qui, néanmoins, si un état pathologique survient, deviennent le siège d'une véritable prolifération, indice bien évident que la nutrition peut s'effectuer d'une façon très-énergique (1).

(l) « La vie organique des animaux tout entière, ou en d'autres termes tout ce qui se passe chez l'animal, sans l'intervention d'une sensation ou d'un acte mental, peut s'effectuer sans l'intervention du système nerveux, et se produire sans modifications matérielles correspondantes de ce système ; de même que les fonctions de circulation, de nutrition, de sécrétion, d'absorp- tion, s'opèrent avec une égale perfection dans les classes les plus inférieures d'animaux, chez lesquels on ne découvre pas de système nerveux, et dans le règne végétal il n'y a pas de raisons plausibles de supposer que les nerfs existent, on pourrait dire que le système nerveux vit et se développe chez un animal, à la manière d'un parasite vivant aux dépens d'un végétal.» (Brit. and For. Med. Chir. Rew. Vol. III, 1837, pp. 9, 10; Et Car- peuter. Principles ofhuman Physiology. Philadelphia, 1855, p. 58.^

Voici l'analyse très- sommaire d'un travail tout récemment M . Ch. Robin a exposé les idées aujourd'hui dominantes, concernant le rôle très- elfacé du système nerveux, dans la nutrition : « Les actes chimiques qui constituent la rénovation moléculaire dans l'organisme vivant, autrement dit la nutrition, ne sont pas sous l'influence directe des nerfs. 11 ne saurait s'agir d'une influence des nerfs sur les tissus, comparable à celle de l'élec- tricité sur les actions chimiques. Il n'existe pas de nerfs allant sur les élé- ments anatomiques extra-vasculaires, sur les épithéliums par exemple, à la manière des tubes nerveux qui viennent s'appliquer sur les fibres mus- culaires. La cause du mouvement de nutrition est dans les éléments ana- tomiques eux-mêmes ; chez les végétaux, en l'absence de tout système ner- veux, on voit les tissus s'enfler subitement, les cellules croître et se multi- plier. Chez l'embryon les cellules naissent, s'accroissent et se multiplient avant l'apparition de tout élément nerveux périphérique. La nutrition est donc une propriété générale des éléments anatomiques , tant animaux que végé- taux. La sécrétion elle-même est une propriété inhérente aux éléments ana- tomiques, ainsi que l'avaient déjà vu de Blainville, A. Comte. Chez les animaux inférieurs, et dans le cas de greffe animale, il est évident que la nutrition des tissus est indépendante du système nerveux. » « Les troubles sécrétoires, ceux d'absorption, les indurations, ramollissements, hypertro- phies et autres altérations consécutives aux lésions des nerfs, sont une con- séquence de perturbations circulatoires par l'intermédiaire des nerfs précé- dents (vaso-moteurs\ affectés directement par action réflexe, et non la consé- quence de l'action de nerfs qui auraient, à la manière de l'électricité par exemple, une influence sur les actes moléculaires ou chimiques de l'assimi- lation et de la désassimilation dans une zone dune certaine étendue en de- hors de leur surface. » (Journal de. UAnatomie, etc., 1867, pp. 270-300.)

8 INFLUENCE DE LA SECTION DES NERFS.

Enfin, des arguments plus directs sont tirés du do- maine de la physiologie expérimentale. Vous savez que, après la section des nerfs qui s'y rendent, ou la destruc- tion même de la moelle épinière, les parties périphériques, telles que les muscles, les os d'un membre, continuent pen- dant longtemps encore à vivre et à se nourrir à peu près comme dans les conditions normales. En pareil cas, c'est seulement à la longue que surviennent dans ces parties des lésions nutritives. Ces lésions, d'ailleurs, presque toujours purement passives, sont vraisemblablement dues à l'inac- tion à laquelle les parties sont condamnées, par suite de la suppression de toute influence de la part du système ner- veux. En effet, elles se manifestent avec les mêmes carac- tères dans Y immobilisation des membres, alors que le sys- tème nerveux n'est pas directement intéressé. Ces lésions passives, que nous verrons figurer dans différentes affec- tions paralytiques, n'ont rien de commun avec les lésions trophiques spéciales qui vont nous occuper. En général, elles peuvent s'en distinguer d'ailleurs objectivement par quelques traits -particuliers. Celles-ci sont presque toujours marquées, du moins à une certaine époque de leur évolu- tion, au coin de l'irritation phlegmasique. Dès l'origine, le plus souvent, elles revêtent les caractères des inflamma- tions ; elles peuvent, nous le verrons, aboutir à l'ulcéra- tion, à la gangrène et à la nécrose.

En outre, un caractère qui leur est commun à la plupart, c'est qu'elles se développent avec une grande rapidité à la suite de la lésion des nerfs ou des centres qui en a provo- qué l'apparition, parfois même avec une rapidité incroyable. C'est ainsi qu'on voit fréquemment, dans certains cas de fracture de la colonne vertébrale avec compression et irri- tation de la moelle épinière, des eschares apparaître au sacrum le second ou le troisième jour après l'accident.

On peut donc dire, qu'en règle générale, l'opposition en- tre les lésions p assives résultant de la seule inactivité fonc- tionnelle et les troubles trophiques qui surviennent à la

INFLUENCE DE LA SECTION DES NERFS. 9

suite de certaines lésions des centres nerveux est frappante: les premières sont lentes à se produire, n'ont, le plus sou- vent, aucun caractère inflammatoire ; les secondes éclatent parfois tout-à-coup et présentent ordinairement, du moins au début du processus, la marque d'un travail phlegma- sique plus ou moins accentué.

Permettez-moi, Messieurs, de vous remettre en mémoire, très-sommairement, quelques-unes des expériences auxquel- les je faisais allusion tout-à-1'lieure, et qui tendent à démon- trer que la moelle épinière et les nerfs n'ont pas d'influence directe, immédiate sur la nutrition des parties périphériques .

Une des premières est relative à la section du nerf sciatique chez les mammifères. Schrœder van der Kolk, qui, un des premiers, l'a instituée, attribuait les troubles de la nutrition qui se produisent assez rapidement, en pa- reil cas, dans le membre correspondant, à l'absence d'ac- tion du système nerveux consécutive à la section du nerf. M. Brown-Séquard, qui a répété cette expérience en 1849 sur des cochons d'Inde et des lapins, est parvenu à faire voir que ces troubles trophiques, survenant au bout de quelques jours à peine et consistant en tuméfaction de l'ex- trémité du membre, ulcérations des doigts, perte des on- gles, etc., ne se montrent, en réalité, que parce que l'ani- mal est devenu incapable de soustraire à l'action des influences extérieures, au frottement sur un sol dur et ru- gueux, le membre privé de mouvement et de sensibilité par suite de la section du sciatique. Lorsque le sujet mis en ex- périence était entouré de toutes les précautions nécessaires, confiné par exemple dans une caisse dont le fond était re- couvert d'une couche épaisse de son, on ne constatait plus aucune modification de la nutrition dans le membre para- lysé, si ce n'est toutefois une atrophie plus ou moins pro- noncée, mais se produisant seulement à la longue (1).

(l) Brown-Séquard. Sur les altérations pathologiques qui suivent la section du nerf sciatique, in Comptes-rendus des séances de la Société de Bio-

10 INFLUENCE DE LA SECTION DE LA MOELLE.

Cette atrophie survenant à la suite de la section du nerf sciatique résulte évidemment de l'inactivité fonctionnelle à laquelle est condamné le membre paralysé ; elle porte non-seulement sur les muscles, mais encore sur les os et sur la peau, ainsi que l'avait déjà reconnu J. Reid. Elle ne se produit pas, alors même que la section du nerf a été com- plète, pour peu que, à l'exemple du physiologiste qui vient d'être cité, on ait soin de faire passer chaque jour un cou- rant galvanique à travers les muscles du membre paralysé.

La section complète du nerf trijumeau, pratiquée dans le crâne, fournit des résultats tout- à-fait comparables à ceux que produit la section du nerf sciatique. Vous savez que les lésions de l'œil qui se montrent chez les animaux à la suite de cette opération, après avoir été autrefois con- sidérées, par quelques physiologistes, comme dérivant de la suppression d'une influence trophique du trijumeau, sont rattachées, depuis les expériences de Snellen (1857) et celles plus récentes de Bùttner (1862), aux effets de l'anes- thésie qui expose les parties frappées d'insensibilité à l'ac- tion de causes traumatiques de tout genre. Si, après la section du trijumeau, on protège l'œil, suivant la méthode de Snellen, en fixant au-devant de lui, par quelques fils, l'o- reille du même côté restée sensible, ou si, suivant la méthode de Bùttner, on se contente de le recouvrir d'une plaque de cuir épais, les troubles trophiques ne se montrent pas dans la cornée ; un certain degré d'hypérémie neuro-paralytique se manifestant à l'iris, à la conjonctive, est en somme le seul phénomène qu'on observe après la section complète du tri- jumeau, lorsque l'œil a été convenablement protégé (1).

lof/te, t. I, 184'J, p. 136, et Expérimental Researches applied to Physiology and Pathology. New- York, 1853, p. 6. Après la section d'un nerf mixte, l'atrophie des muscles ne commence à se manifester en général chez 1 homme et chez les mammifères, qu'au bout d'un mois environ, par un léger degré d'émaciation. Deux mois après, l'atrophie est mieux caractérisée ; elle est très- prononcée au bout de trois mois. (Magnin, thèse de Paris, 1806, p. 19.) (l) Voir à ce sujet les expériences de M. SchifF, dans la thèse de M. Hau-

INFLUENCÉ DES NERFS YASO-MOTKT 1;.- >\\

En ce qui concerne maintenant la moelle épinière, il paraît démontré que sa section transversale complète ou même sa destruction dans une certaine étendue, lorsqu'il n'en résulte pas une inflammation quelque peu durable de l'organe, ne sont pas immédiatement suivies de troubles de la nutrition dans les membres paralysés. M. Brown-Sé- quard a fait voir, en effet, que les ulcérations qui se for- ment assez rapidement au voisinage des organes génitaux chez les mammifères et chez les oiseaux, dont la moelle épinière a subi une section transversale complète, ne ré- sultent pas directement de l'absence d'influx nerveux ; elles sont la conséquence de la pression prolongée et du contact des urines altérées, ainsi que des matières fécales auxquelles ces parties' sont exposées.

Les membres postérieurs d'un jeune chat, qui survécut près de trois mois à la destruction complète de la région lombaire de la moelle épinière, se développèrent normale- ment ; les fonctions de la vie organique dans ces membres parurent s'exécuter suivant les conditions physiologiques ; la sécrétion des poils et des ongles se produisit comme chez l'animal sain (1).

Chez des mammifères ou chez des grenouilles, dont la partie postérieure de la moelle a été détruite, on peut voir, dit Yalentin, la contractilité électrique persister dans les muscles des membres postérieurs, jusqu'à la mort, c'est-à- dire pendant plusieurs semaines ou même pendant plusieurs mois (2).

En résumé, chez les animaux qui ont subi la section transversale complète ou la destruction d'une partie de la moelle épinière, on peut voir se former, principalement sur

ser : Nouvelles recherches relatives à l'influence du système nerveux sur la nutrition. Paris, 1858.

(1) Brown-Séquard, loc. cit., p. 14, 13, 16.

(2) Yalentin. Versuch einer physioloçjischen Pathologie den Nerven, 2. Abth., p. 43. Leipzig, 1864.

12 INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS.

les régions soumises à la pression, des ulcérations, voire même des eschares ; mais toujours il est possible de mettre ces lésions sur le compte de l'anesthésie et de la paralysie motrice, par suite desquelles l'animal reste constamment souillé par le contact des urines, se Messe en se heurtant à tous les contacts, etc. Quant à l'atrophie qui survient à la longue dans les membres paralysés à la suite de cette opé- ration, elle résulte uniquement, comme dans le cas de la section du nerf sciatique, de l'inertie fonctionnelle à la- quelle ces membres sont condamnés.

De l'ensemble de ces faits, empruntés à la physiologie expérimentale, il résulte, comme on le voit, que l'absence d'action du système nerveux déterminée par la section complète des nerfs périphériques ou la destruction d'une partie de la moelle épinière ne provoque pas, dans les élé- ments anatomiques des membres paralysés, d'autres trou- bles nutritifs que ceux qui se développeraient, dans ces mêmes éléments, sous la seule influence de l'inertie fonc- tionnelle, de l'inactivité prolongée.

La découverte des nerfs vaso-moteurs et des effets que détermine la paralysie de ces nerfs ne devait pas modifier essentiellement cette formule. Il est, en effet, démontré aujourd'hui que l'hypérémie neuro-paralytique, quelque loin qu'elle soit poussée, n'est jamais suffisante pour occa- sionner, à elle seule, une altération dans la nutrition des tissus. Sans doute, cette hypérémie, comme l'a fait remar- quer M. Schiff, crée une certaine prédisposition aux in- flammations, lesquelles peuvent éclater soit spontanément du moins en apparence chez l'animal malade, soit à la suite de causes d'excitation relativement légères chez l'animal sain. Mais ces lésions de nutrition d'origine neuro- paralytique ne sont nullement comparables aux troubles trophiques qui sont l'objet spécial de cette étude, elles for- ment une catégorie à part. Ces derniers, ainsi que nous aurons maintes fois l'occasion de le faire remarquer, che- min faisant, peuvent se développer et accomplir leur évo-

INFLUENCE DE LIRRITATION DES NERFS. 13

lution, sans être précédés ou accompagnés par aucun des phénomènes qui révèlent objectivement l'état paralytique ou l'état inverse des nerfs vaso-moteurs. Pour l'instant, nous n'insisterons pas plus longuement sur ce point que nous devons reprendre par la suite.

III.

Si les lésions qui ont pour résultat d'anéantir ou de sus- pendre l'action du système nerveux, n'ont pas le pouvoir de faire naître dans les régions éloignées d'autres troubles de la nutrition que ceux qui dépendent de l'inactivité pro- longée, il n'en est pas de même des lésions qui déter- minent, soit dans les nerfs, soit dans les centres nerveux, une exaltation de leurs propriétés, une irritation, une inflammation.

C'est là, Messieurs, une proposition d'une importance capitale : elle domine en réalité la question qui nous oc- cupe. Découvert depuis longtemps déjà par M. BroAvn- Séquard, le principe sur lequel elle s'appuie est, si je ne me trompe, encore trop souvent méconnu, aussi bien par les physiologistes que par les pathologistes (1). Nous ver- rons en temps et lieu la pathologie humaine fournir, à l'appui de cette proposition, des faits assez nombreux, des arguments péremptoires ; en revanche, nous aurons plus rarement à invoquer les résultats de l'expérimentation sur les animaux. La raison en est surtout, sans aucun doute, dans cette circonstance que, chez ces derniers, le tissu nerveux parait résister, bien mieux que chez l'homme, aux causes diverses d'irritation et d'inflammation. Tous les ex- périmentateurs savent, en effet, que les lésions traumati- ques, même les plus graves, des nerfs périphériques ou de

(l) Note sur quelques cas d'affection de la peau, dépendant d'une influence du système nerveux, par J.-M. Charcot, suivies de Remarques sur le mode d'influence du système nerveux sur la nutrition, par le docteur Brown-Sé- quard. [Journ. de physiologie, t. II, o. Janvier 1859, p. 108).

14 INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS.

la moelle, produisent assez difficilement, chez la plupart des animaux, une myélite ou une névrite quelque peu du- rable et comparable à celles qui se développent, au con- traire, assez facilement chez l'homme à la suite des lésions les plus minimes.

Les expériences propres à montrer que les lésions irri- tatives des tissus nerveux sont capables de déterminer des troubles trophiques variés dans les parties auxquelles ils se distribuent, sont, nous l'avons dit, peu nombreuses. Elles sont relatives presque exclusivement à la cinquième paire.

Voici d'abord le résumé d'une expérience de Samuel : Chez un lapin, deux aiguilles sont appliquées sur le ganglion de Gasser et l'on fait passer un courant d'induc- tion ; aussitôt il se produit un rétrécissement plus ou moins prononcé de la pupille, et en même temps se développe une légère injection des vaisseaux de la conjonctive; la sécrétion des larmes s'exagère. La sensibilité des pau- pières, de la conjonctive, de la cornée est exaltée. Après l'opération, le rétrécissement de la pupille persiste, quoi- que à un moindre degré et l'hyperesthésie s'exagère en- core. Le processus inflammatoire commence à se déve- lopper en général au bout de vingt-quatre heures ; son intensité s'accroît pendant le second et le troisième jour, et diminue ensuite progressivement. On peut observer tous les degrés de l'ophthalmie, depuis la conjonctivite la plus légère jusqu'à la blennorrhée la plus intense. La sensibilité s'exalte toujours et l'hyperesthésie peut s'éle- ver à un tel degré qu'au moindre attouchement de l'œil, l'animal est pris de convulsions générales. Il se produit sur la cornée une opacité générale, et, en outre, tantôt de petites exulcérations, tantôt un ulcère unique, de forme ovalaire qui occupe la partie moyenne de cette mem- brane. Dans un cas, il s'était formé une petite collection purulente dans la chambre antérieure de l'œil . A part l'hy- pérémie, on n'observe jamais d'altérations pathologiques de l'iris, ni adhérences, ni modifications de coloration.

INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 1 '6

Dans tous les cas, l'hyperesthésie des rameaux ophthal- miques de la cinquième paire est. expressément notée. Il est clair, par conséquent, qu'on ne saurait ici, comme dans les faits de Snellen et de Butiner, invoquer Fanesthésie pour expliquer l'apparition des troubles trophiques surve- nant dans l'œil non convenablement protégé (1).

A la suite d'une section non réussie du trijumeau chez un lapin, Meissner a vu paraître dans l'œil, qui avait con- servé d'ailleurs sa sensibilité, des lésions trophiques très- prononcées. L'auteur fait remarquer avec soin que ces lésions se sont produites sans qiCaucun signe d'Jiypéré- mie neuro-paralytique les eût précédées. L'autopsie fit constater que la partie médiane (interne) du trijumeau avait seule été intéressée par le neurotome (2). Schiff, de son côté, à l'appui de l'observation de Meissner , rapporte quatre cas, relatifs à des lésions partielles du trijumeau dans le crâne, et dans lesquels l'inflammation de l'œil s'est développée malgré la persistance de la sensibilité (3).

Nous avons vu dans les expériences de Samuel les trou- bles trophiques survenir dans l'œil en conséquence de l'irritation faradique de la cinquième paire ; n'est-il pas vraisemblable que, dans celles de Meissner et de Schiff, c'est par suite de l'irritation phlegmasique développée dans le nerf en conséquence de la section partielle, que les lésions de l'œil se sontproduites ? A l'appui de cette opinion j e vous ferai remarquer que chez l'homme les sec- tions incomplètes sont bien plus propres à développer dans les nerfs un processus d'irritation, que ne le sont les sections complètes; cela a été reconnu depuis bien longtemps par les chirurgiens. Il est permis de supposer

(1) S. Samuel. Die trophischen Nerven. Leipzig, 1860, p. 01.

(2) G. Meissner. JJeber die nach der Durschneidung der Trigeminus an? Auge der Kaninchens eintretende Ernahrungstterung. Heiile etPfeufer's Zeitsch. xxxix, 96-104,— Centralblatt. 1867. p. 265. Gaz. hebdumad., 1867, p. 634.

(3) M. Schiff. Renie" s Zeitsch. xxxix, 217-229. Centralblatt, 1807, p. 655. Gaz.hebdomad., 1867, p. 634.

16 INFLUENCE DE l/lRRITATION DES NERFS.

qu'il en est de même, du moins à un certain degré, chez les animaux (1).

Je rapprocherai immédiatement de ces faits plusieurs observations recueillies chez l'homme et sur lesquelles j'au- rai à revenir par la suite : elles sont relatives encore au trijumeau. Elles montrent, comme les expériences qui pré- cèdent, que les lésions irritatives de ce nerf, développées spontanément, peuvent, elles aussi, sans être suivies d'a- nesthésie, provoquer dans l'œil des désordres trophiques très-accentués.

Une femme de 57 ans, dont l'histoire a été rapportée par Bock (1), éprouvait, depuis un an environ, dans le côté droit de la face, des douleurs violentes qui, d'abord inter- mittentes, se montrèrent plus tard à peu près continues. Jamais la sensibilité de la face ne disparut complètement ; une légère pression était, à la vérité, imparfaitement sen- tie ; mais une pression un peu forte ramenait de vives douleurs. La conjonctive de l'œil droit était injectée ; la cornée, dans sa partie la plus inférieure, présentait une ulcération hypertrophique d'une longueur de deux lignes environ ; elle était partout un peu opaque. Plus tard, l'ulcé- ration gagna en profondeur ; l'opacité de la cornée s'accrut. Enfin survint une perforation qui donna issue à un liquide puriforme sous l'influence de la pression de l'œil. La mort

(1) Telle n'est pas l'interprétation proposée par Meissner, à propos de son expérience. Il suppose que les fibres les plus internes du trijumeau, qui seules avaient été sectionnées dans son cas, ont une action particulière sur la nu- trition de l'œil. Il se fonde sur ce que dans trois autres cas le trijumeau avait été également sectionné d'une manière incomplète, mais les fibres les plus internes du nerf avaient été respectées, les troubles trophiques ne se sont pas développés dans l'œil, bien que celui-ci, devenu insensible, n'eût pas été protégé contre les agents extérieurs. Nous croyons que les sections in- complètes devront être répétées un nombre considérable de fois avant qu'on puisse se prononcer définitivement sur la valeur de l'interprétation proposée par Meissner.

(2) Bock. Ugeskrift for Laeger, 1842, VII, p. 431. Extrait dans Hannover's Jahrebesricht, Milliers Archiv. 1844. p. 47, et Schiffs Untersu- chungen zur Physiologie des Nervensystems mit Berûcksichtigwig der Patho- logie. Frankfurt am Main. 1855, pp. 63, 64.

INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 17

arriva inopinément. A l'autopsie, on trouva le ganglion de Gasser du côté droit, volumineux et très-dur. Les trois branches du trijumeau droit jusqu'à la sortie de l'os, étaient également très-épaisses.

Le cas suivant est emprunté à un mémoire de Frie- dreicli (1). Un homme, âgé de 65 ans, fut frappé tout à. coup d'une hémiplégie droite avec perte de la sensibilité du même côté. Quelques semaines avant cette attaque, il avait éprouvé dans le globe de l'œil gauche, ainsi que dans le côté gauche de la face, de légères douleurs lancinantes ; ces douleurs s'exagérèrent rapidement et à un haut degré après l'attaque apoplectique. Dans le môme temps, la con- jonctive de l'œil gauche s'injecta et il y eut exagération de la sécrétion des larmes ; un peu plus tard, la conjonc- tive se recouvrit çà et d'un exsudât pseudo-membraneux puriforme; la pupille gauche, bien que très-étroite, réagis- sait encore sous l'influence de la lumière. La sensibilité resta toujours normale dans tout le côté gauche delà face.

A l'autopsie, on rencontra à la surface du pédoncule cérébelleux moyen un amas de petites tumeurs sarcoma- teuses formant dans leur ensemble une masse représentant environ le volume d'une noisette. La substance cérébrale voisine, surtout auprès du cervelet, était ramollie et très-in- jectée.Le nerf trijumeau gauche, à sa sortie de la base de l'en- céphale, était rouge, un peu ramolli et aplati par la tumeur.

On pourrait aisément rapporter un bon nombre de faits analogues à ceux qui viennent d'être cités, mais ceux-ci suffi- ront pour le but que nous nous proposons actuellement (2).

(1) Friedreich. Beitraege zur lehre von den Geschwillsten innerhalb der Schaedelkohle. Wurzburg. 1853, p. 15 et Schiff's Unterstichmgen, etc. p. 100.

(2) Les faits de troubles de la nutrition de l'œil consécutifs aux lésions spontanées de la paire, chez l'homme, sont assez nombreux; mais nous n'a- vons voulu mentionner que ceux dans lesquels il est bien établi que la sensi- bilité de la face n'a pas été atteinte : les deux cas qui suivent méritent ce- pendant d'être signalés encore, bien qu'ils ne soient pas aussi explicites à cet égard que les faits de Bock et de Friedreich. Un homme vigoureux, à la suite d'un coup reçu sur la tête, devint sujet à de violentes douleurs, fixées

Charcot, t. i, 3e éd. 2

18 CONTRADICTIONS EXPÉRIMENTALES.

En dehors de la cinquième paire, il est plus rare encore de voir les lésions expérimentales des nerfs déterminer l'apparition de troubles trophiques dans les parties péri- phériques. Nous rappellerons cependant, à titre d'exemple de ce genre, les effets remarquables que produisent quel- quefois sur la nutrition du rein, les lésions des nerfs qui se rendent à cet organe. On sait que parmi les expérimenta- teurs, les uns (Krimer, Brachet, Muller et Peipers, A. Moreau, Wittich) assurent produire presqu'à coup sûr, à l'aide de ces lésions, des altérations plus ou moins profondes du rein, tandis que les autres (P. Bert,Hermann),en répétant la même expérience dans des circonstances en apparence identiques, disent être arrivés à des résultats négatifs.

Ne peut-on pas se rendre compte, du moins en partie, de cette contradiction singulière, de la manière suivante :

sur le côté droit delà tête, et éprouvait de temps en temps des accès épilepti- formes. Plus tard, les douleurs se localisèrent dans l'œil et l'oreille droits. L'œil était rouge, tuméfié, saillant, mais recouvert cependant par la paupière supérieure paralysée. Cornée trouble ; iris très-immobile, contracté, de couleur brune d'abord, puis verdâtre. La cornée devint à la longue tout-à-fait opaque. Autopsie : la face inférieure des lobes antérieur et moyen présente à droite plusieurs stéatomes du volume d'un haricot, d'une amande. Le ganglion de Gasser et les trois branches du trijumeau sont recouverts d'une masse cartilagineuse résistante. L'oculo-moteur commun est comprimé ; sa colora- tion est modifiée. Malheureusement l'état de la sensibilité de la peau de la face n'est pas indiqué dans ce cas. (F. A. Landmann, Commentatio patholo- gico-anatomica erhidens morbiim cerebri oculique singularem ; in-4°, Leipzig, 1820, et Schiff'* Vntersv.ch., p. Si). Dans le cas bien connu rapporté par Serres [Journal de physiologie, V. 182U, p. 233, et Anatomie comparée du cerveau, II, p. G"), malgré l'altération profonde du ganglion de Gasser, et des racines de la grosse portion du trijumeau, il n'y avait pas eu paralysie complète de la partie sensible du nerf, car la surface tout entière du visage avait conservé le sentiment. Seuls, l'œil droit et la face interne des pau- pières étaient devenus insensibles ainsi que la moitié droite de la langue ; il y avait eu une inflammation aiguë de l'œil droit avec œdème des paupiè- res, obnubilation et plus tard opacité complète de la cornée. Le ganglion de Gasser du côté droit était d'un jaune gris, tuméfié, imbibé de sérosité. La portion du ganglion d'où part le nerf ophthalmique était rouge et injec- tée. Les racines de la grosse portion du nerf présentaient une couleur sale qui contrastait avec celle delà petite branche, restée saine. Les trois nerfs, à leur issue du ganglion, offraient une coloration jaune, qui cessait d'exister à la sortie du crâne.

IRRITATION DE LA MOELLE ÉPINIÈRE. 49

les lésions rénales feraient défaut dans le cas la section des nerfs a été complète, absolue ; elles se produiraient au contraire, ou mieux pourraient se produire, dans le cas de section incomplète, ou encore lorsque, pour remplacer le scalpel, on fait intervenir l'emploi des caustiques, de l'am- moniaque, par exemple (Corrente, Schiff), toutes conditions éminemment propres à déterminer, dans les nerfs lésés, une irritation plus ou moins vive ou même un véritable processus phlegmasique (1). A ce point de vue, la question mériterait peut-être d'être révisée à l'aide de nouvelles re- cherches.

Nous rappelions, tout à l'heure, les effets des sections transversales, des destructions partielles de la moelle épi- nière, en ce qui concerne la nutrition des parties privées de sentiment et de mouvement par le fait des opérations dont il s'agit. Lorsque, disions-nous, les opérations n'ont pas pour résultat de provoquer dans les parties lésées de la moelle un travail d'inflammation, et c'est ce qui a lieu dans la grande majorité des cas, on constate simplement, dans les membres paralysés, une dégénération avec atro- phie des muscles très-lente à se produire, des ulcérations du derme, peut-être même des eschares causées parle frot- tement exercé sur un sol rugueux, par le contact perma- nent des urines altérées, le manque de propreté; c'est-à- dire, en un mot, tous les effets auxquels donnent lieu l'i- nertie fonctionnelle des membres postérieurs, chez les ani- maux, et rien que ces effets. Eh bien! le tableau est tout différent si, par suite de circonstances que rien ne fait pré- voir et qu'on ne sait pas encore reproduire à volonté, l'in- flammation vient à s'établir au voisinage de la lésion spi- nale. Alors, en effet, ainsi que l'a montré M. Brovn-Séquard, et comme j'ai eu, à mon tour, l'occasion de l'observer plu- sieurs fois, l'altération musculaire se développe très-rapi- dement ; quelques jours à peine après l'opération, elle est

(l) Voyez Zeitschrift fur ration. Med., 35 Bd., p. 343.

20 IRRITATION DU SYSTÈME NERVEUX.

déjà très-prononcée. Bientôt l'émaciation des masses mus- culaires devient appréciable et elle progresse ensuite très- rapidement ; des éruptions qui aboutissent promptement à la formation d'ulcérations ou d'eschares apparaissent sur la peau, alors même qu'on met en œuvre les soins de pro- preté les plus minutieux ; elles se développent surtout sur les régions du corps soumises à la pression, au frottement, au contact prolongé des urines, mais elles peuvent se pro- duire encore, bien que ce cas soit rare, en dehors de toutes ces conditions (1).

Je pourrais m'étendre longuement sur ces troubles tro- phiques liés à l'inflammation traumatique de la moelle épinière chez les animaux, mais il sera plus opportun d'y revenir à propos de l'étude que nous avons à faire de la myélite développée spontanément chez l'homme.

Je ne veux d'ailleurs pas prolonger outre mesure cette incursion dans le champ de la physiologie expérimentale ; pour le moment, si je ne me trompe, un premier résultat nous est acquis déjà : les faits que nous venons d'invoquer suffisent, en effet, croyons-nous, à établir que le défaut d'action du système nerveux n'a pas d'influence directe, immédiate, sur la nutrition des parties périphériques; d'un autre côté, ils rendent au moins fort vraisemblable que V excitation morbide , V irritation des nerfs ou des centres nerveux sont, au contraire, de nature, sous de certaines

(l) C'est sans doute de la même manière, c'est-à-dire en faisant intervenir l'inflammation autour du point lésé, qu'il convient d'interpréter les troubles qui surviennent quelquefois dans la nutrition de l'œil, chez divers animaux, à la suite de la section d'une moitié latérale de la moelle épinière au dos. Les affections de l'œil (ulcérations, fonte de la cornée, conjonctivite purulente), observées par M. Brown-Séquard, chez le cochon d'Inde (Comptes-rendus de la Société de Biologie, t. II, 1850, p. 134), ont été rencontrées par M. Vul- pian, chez la grenouille, à la suite de la section de la moitié correspondante de la moelle, près du bulbe rachidien. (Communication orale.) Elles ne se développent pas chez tous les animaux opérés de cette façon, et il est au moins fort vraisemblable qu'elles se produisent seulement dans le cas où, consécutivement à la section, un travail inflammatoire s'est développé dans le segment supérieur de la moelle épinière.

LÉSIONS TRAUMATIQUES DES NERFS. 21

conditions, à provoquer à distance les troubles trophiques les plus variés.

Par quelle voie, par quel mécanisme cette irritation du système nerveux vient-elle retentir sur les parties péri- phériques et y déterminer ces lésions trophiques dont nous avons relaté quelques exemples? Celles-ci sont-elles dues à une irritation ou à la paralysie des nerfs vaso-moteurs? Ou bien dépendent-elles d'une irritation de ces nerfs hypo- thétiques, que ranatomie ne connaît pas encore, et que l'on désigne quelquefois sous le nom de nerfs trophiques ? Ce sont des questions que nous devrons aborder par la suite ; actuellement, nous voulons rentrer dans le domaine de la pathologie de l'homme et j'espère vous faire recon- naître que le principe mis en évidence, déjà, par la patho- logie expérimentale trouve ici son application d'une façon plus évidente encore. Ce principe sera notre fil conducteur et il nous amènera à comprendre, je l'espère, pourquoi des lésions, au premier abord semblables et portant sur les mêmes points des systèmes nerveux ou périphériques, pro- duisent, dans les cas pathologiques, des effets si opposés, en apparence même si contradictoires.

Les troubles trophiques que nousnousproposons.de passer en revue sont produits: par des lésions des nerfs péri- phériques, et tantôt ces lésions ont été provoquées par une cause traumatique, tantôt elles se sont développées spontanément ; par des lésions de la moelle épinière et du bulbe ; par des lésions, enfin, de certaines parties de l'encéphale.

TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DES NERFS.

Arrêtons-nous, en premier lieu, aux lésions des nerfs. Elles nous offrent les conditions d'étude les plus simples. La chirurgie, sous ce rapport, nous fournit des documents d'une grande valeur, car les lésions traumatiques des nerfs se présentent quelquefois chez l'homme dans" des condi-

22 AFFECTIONS DE LA PEAU.

tions de simplicité comparables à celles des lésions expé- rimentales instituées chez les animaux.

À. J'établirai, dès l'abord, parmi ces lésions traumati- ques des nerfs, une distinction que je crois fondamentale, et dont vous reconnaîtrez bientôt toute l'importance : tan- tôt la lésion consiste en une section nette et com- plète, et alors ses effets sont tout simplement, du moins en général, ceux de l'absence d'action nerveuse ; tantôt, résultant de plaies, de contusions, de tiraillements, elle est de nature à déterminer dans le nerf un état d'irritation, et c'est alors, alors seulement, qu'on voit naître ces troubles trophiques sur lesquels j'appelle votre attention. Occupons- nous d'abord des faits du second groupe.

Les lésions traumatiques des nerfs dont il s'agit peuvent donner lieu à des phénomènes morbides affectant la peau, le tissu cellulaire sous-Cutané, les muscles, les articulations et les os. La dernière guerre d'Amérique a été, vous le savez, l'occasion d'études très-importantes sur ce sujet; elles ont été présentées par MM. S. W. Mitchell, G. R. Morehouse et W. Keen, dans un livre très-intéressant et que nous mettrons bien souvent à profit (1). On doit aussi à un de mes anciens élèves, le regretté Mougeot,une étude très-remarquable sur les affections cutanées développées sous l'influence des lésions des nerfs périphériques. Je ne pourrai, naturellement, entrer dans les détails, et je renvoie ceux d'entre vous qui voudraient approfondir la question à la thèse de Mougeot, tous les documents qui y sont relatifs ont été rassemblés avec le plus grand soin (2).

a) Affections de la peau. Les accidents que les lésions

(1) S. Weir Mitchell, G. R, Morehouse and W. Keen. Gunshot Wounds and other Injuries of nerves. Philadelphia, 1864. Extrait dans les Archives générales de médecine, 1865, t. I. Cet ouvrage a été traduit en français par M. le Dr Dastre (1874).

(2) J. B. A. Mougeot. Recherches sur quelques troubles de nutrition consécutifs aux affections des nerfs. Paris, 1867.

AFFECTIONS DE LA PEAU. 23

traumatiques des nerfs sont capables d'occasionner du côté des téguments sont de deux espèces : Les premiers con- sistent en des éruptions de forme variable, mais surtout vésiculeuses ou huileuses. Nous citerons en premier lieu le zona, qui s'observe fréquemment en pareil cas, et que l'on pourrait désigner, à cause de cela, sous le nom de zona tramnatique. J'ai rapporté, dans le temps, un très- bel exemple de ce genre observé à la Charité, chez mon maître Rayer (1). Sous le nom d'éruptions eczéma- teuses, les chirurgiens américains ont décrit une affection de la peau qui peut être rapprochée de la forme précédente.

En second lieu viennent les éruptions pemphigoïdes, dont j'ai rapporté aussi un exemple assez net (%). Il s'agit de bulles de pemphigus qui se développent très-rapide- ment et reparaissent de temps à autre sur divers points de

(1) « Un homme admis dans le service de M. Rayer, en 185!, avait, pen- dant les affaires de juin 1848, reçu une balle à la partie inférieure et externe de la cuisse. Quelque temps après la guérison de la plaie, surviennent dans la jambe de vives douleurs, presque continues, mais s'exaspérant par accès. Ces douleurs qui semblent partir de la cicatrice se répandent jusque sur le dos du pied et suivent évidemment le trajet des nerfs. Cette, névral- gie, qui a résisté à tous les moyens employés, s'est accompagnée à plusieurs reprises,' pendant ie séjour du malade à la Charité, d'une éruption de vési- cules d'herpès, disposées par groupes, tout à fait semblables à celles de l'herpès zoster, et siégeant sur la peau des parties douloureuses. » (Charcot. Sur quelques cas d'affection de la peau, dépendant d une influence du sys- tème nerveux. In Journal de physiologie, t. II, 5. Janvier 1839). On trouve dans le même journal un fait analogue, rapporté par M. Rouget : « Un cultivateur, en sautant un fossé, reçut la charge de plomb à lièvre de sou fusil, à la face interne du bras gauche, vers la partie moyenne. Au fond de la plaie, qui était large de huit centimètres, on apercevait l'artère humé- raie, la veine basilique déchirée et plusieurs nerfs, surtout le brachial cutané interne, contusionnés. La plaie se cicatrisa assez vite, mais environ deux mois et demi ou trois mois après, il survint à la partie postérieure et interne de l'avant-bras une éruption ressemblant à du zona, occupant une surface de quatre à cinq centimètres de diamètre, dans une partie de l'avant-bras privée de sensibilité. » Les exemples de zona, survenu à la suite d'une con- tusion portant sur le trajet d'un nerf (Oppolzer), d'un effort (Thomas), sont loin d'être rares. (Voy. Mougeot, loccit., p. 38).

(2) Charcot, loc. cit. « "Eruption, particulière siégeant sur la face dorsale d'une main et des doigts, et probablement consécutive à la lésion des filets nerveux qui se distribuent à ces parties. »

24 AFFECTIONS DES MUSCLES, ETC.

la partie des téguments, correspondant à la distribution du nerf lésé ; elles laissent après elles des cicatrices à peu près indélébiles. Cette sorte d'éruption s'observe parfois sur les cicatrices vicieuses ; il est très-vraisemblable qu'elle dé- pend alors de l'irritation que subit quelque filet nerveux tiraillé ou comprimé dans le tissu cicatriciel.

Nous citerons en troisième lieu une rougeur cutanée qui rappelle Yérythème pemio, et certaine tuméfaction de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané, déjà remarquée par Hamilton,qui simule le phlegmon (faux phlegmon) (3).

Vient ensuite l'affection cutanée qui a été décrite par les chirurgiens américains sous le nom de Glossy Skin, mot à mot, .peau lisse. La peau est lisse, en effet, pâle, anémique; les glandes sudoripares sont atrophiées, leur sécrétion di- minuée; l'épiderme est fendillé, les ongles sont fendillés eux aussi et recourbés d'une manière remarquable. Il s'agit là, en somme, d'une inflammation particulière de la peau qui aboutit à l'atrophie du derme, et qui rappelle ce qu'on voit dans l'affection désignée sous le nom de sclêrodermie.

b) Affections des muscles. Les muscles s'atrophient, de leur côté, souvent d'une manière très-rapide, et perdent, tantôt en partie, tantôt complètement, leur contractilité électrique. Mais c'est un sujet qui sera l'objet d'une étude toute particulière.

c) Affections des articulations. Vers les jointures, les lésions traumatiques des nerfs produisent des symptômes qui rappellent, d'une façon notable, la physionomie du rhu- matisme articulaire subaigu. Ces arthropathies amènent, en général, très-rapidement l'ankylose.

d) Os. Il se produit quelquefois, dans ces mêmes circons- tances, une périostite suivie souvent de nécrose.

Mais je ne veux pas pousser plus loin cette énumération

(l) Mougeot , loc. cit., p. 30,

INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 2o

sommaire : elle suffit à remplir le Lut que nous avons en vue. Il s'agit, actuellement surtout, de chercher à spécifier autant que possible, les conditions particulières sous l'in- fluence desquelles ces troubles tropliiques se développent à la suite des lésions traumatiques des nerfs.

Paget qui, l'un des premiers, a appelé l'attention sur quelques-uns de ces accidents, n'hésite pas à avouer son ignorance à cet égard (1). Au contraire, les chirurgiens américains que je citais tout à l'heure, sont parvenus à dé- terminer les conditions dont il s'agit, et leur témoignage nous est, ici, d'autant plus précieux, qu'il est fondé sur l'observation pure, toute empirique, et dégagée d'idée pré- conçue. Après avoir remarqué tout d'abord, comme Pa- get l'avait fait d'ailleurs avant eux, que ces affections consécutives sont presque toujours précédées ou accompa- gnées de symptômes douloureux (Burning Pains), évi- demment en rapport avec un état d'irritation du nerf lésé, tandis qu'au contraire l'anesthésie fait complètement dé- faut, ils font expressément remarquer qu'elles se déve- loppent habituellement après des contusions, des piqûres, des sections incomplètes des nerfs, c'est-à-dire à la suite des causes traumatiques les plus propres à produire la né- vrite, ou tout au moins Yétat névralgique. Au contraire, et c'est un point sur lequel nos auteurs insistent, on ne les voit pas se produire dans les cas de section complète des nerfs, les résultats habituels de l'absence d'action des nerfs étant les seuls phénomènes qu'on observe en pareil cas.

Il faut ajouter enfin que les affections périphériques qui relèvent de l'irritation des nerfs surviennent le plus sou- vent spontanément, sans l'intervention d'une cause exté- rieure quelconque, telle que la pression par exemple (2).

Mais ce ne sont encore que des conditions très-géné- rales ; il faudrait pouvoir pénétrer plus avant et recher-

(1) Médical Times and Gazette. London, March 20, 1864.

(2) Gunshot Wounds, etc., loc. cit., pp. 71, 77, et Archives générales de médecine, t. I, 1865, pp. 188, 191, 194.

26 INFLUENCE DE L 'IRRITATION DES NERFS.

cher s'il n'existe pas dans les nerfs affectés une lésion ana- tomique constante en rapport avec la manifestation des lé- sions périphériques. Malheureusement, nous devons nous borner à signaler ici une lacune que les études ultérieures ne tarderont pas, sans doute, à combler. Toutefois, l'en- semble des symptômes plaide déjà en faveur de l'existence d'une névrite. On peut invoquer, en outre, les résultats nécroscopiques obtenus dans certains cas de lésions orga- niques des nerfs, l'on peut voir apparaître toute la série des affections périphériques que nous avons appris à con- naître comme conséquence des lésions traumatiques. Dans ces cas, en effet, sur lesquels nous nous arrêterons dans un instant, les nerfs affectés ont été quelquefois trouvés tu- méfiés, infiltrés d'exsudats, vivement congestionnés ; de plus, le microscope y a fait reconnaître une multiplication plus ou moins accentuée des noyaux des gaines de Schwann ou de ceux du névrilème, et parfois, de plus, tous les ca- ractères de la dégénération granuleuse des cylindres de myéline. Rien ne prouve cependant, quant à présent, qu'une irritation capable de déterminer à distance la production de troubles trophiques ne puisse exister dans le nerf sans se révéler par cet ensemble de lésions relativement gros- sières. C'est ici le lieu de faire ressortir que toute névrite n'entraîne pas, tant s'en faut, nécessairement la manifes- tation des troubles trophiques ; il faut, pour que ceux-ci se produisent, l'intervention de circonstances que l'analyse n'a pas encore permis de dégager. Cela contraste avec ce que nous savons des lésions qui surviennent, dans les par- ties éloignées, à la suite de la section complète des nerfs; ces dernières, en effet, peuvent être considérées comme une conséquence obligée, inévitable de toute lésion de nerfs qui soustrait absolument les parties à l'influence du sys- tème nerveux.

Quoi qu'il en soit, l'influence de l'irritation d'un nerf sur le développement des troubles trophiques qui nous occu- pent, est bien mise en lumière, et pour ainsi dire rendue

LESIONS SPONTANEES DES NERFS. 27

évidente, par les observations Ton voit ces accidents, après s'être un moment dissipés, se reproduire après cha- que réapparition nouvelle de la cause d'irritation. Je men- tionnerai, à titre d'exemple, un fait bien connu et souvent cité, que rapporte Paget, d'après le docteur Hilton.

Chez un homme traité à Guy'' s Hospital, une fracture de l'extrémité inférieure du radius avait produit un cal volu- mineux, lequel comprimait le nerf médian. En consé- quence, il s'était formé sur la peau du pouce et des deux premiers doigts de la main, des ulcères qui résistaient à tous les traitements. La flexion du poignet, faite de ma- nière à relâcher les parties molles de la face palmaire et à faire cesser, par suite, la compression du nerf, avait tou- jours pour effet, au bout de quelques jours, d'amener la guérison des ulcères. Mais aussitôt que la malade voulait se servir de sa main, le nerf était de nouveau com- primé, et bientôt l'on voyait les ulcérations reparaître (1).

B. Il me reste à vous entretenir des troubles trophiques qui s'observent en conséquence de lésions des nerfs déve- loppées spontanément, et non plus, cette fois, à la suite d'une cause traumatique. Ainsi que je vous l'ai laissé pres- sentir, nous allons voir se reproduire ici toute la série des affections que nous venons à l'instant de passer en revue. Cette circonstance m'autorisera à être bref: il me suffira de citer quelques exemples empruntés, pour la plupart,à la riche collection de faits rassemblés dans le travail de Mougeot(2).

Pour établir la transition, je mentionnerai, en premier lieu, les cas dans lesquels une influence, non pas à propre- ment parler traumatique, mais encore, cependant, d'ordre mécanique, a déterminé l'affection du nerf. C'est, évi- demment, d'après ce dernier mode que se produisent quel- quefois les troubles trophiques de l'œil consécutifs aux lé-

(1) J. Pagel Lectures on surgical Pathology. t. I, p. 43.

(2) Mougeot, loc. cit., chap. u. Des Usions organiques des nerfs et des troubles de nutrition consécutifs.

28 INFLAMMATION DES NERFS SPINAUX.

' sions du trijumeau : il s'agit communément, dans ces cas, de tumeurs intra-crâniennes développées au voisinage du nerf, et y déterminant, par compression, sans interrompre la continuité des tubes nerveux, une irritation plus ou moins vive. Le cancer de la colonne vertébrale peut amener, comme on sait, un ramollissement des vertèbres poussé à un tel point qu'il s'en suive un affaissement des lames vertébrales, et conséquemment, un rétrécissement des canaux de conjugaison. Les nerfs dans leur parcours à travers ces canaux devenus trop étroits sont comprimés, irrités et quelquefois s'enflamment. J'ai vu, en pareil cas, une éruption de zona occuper, à droite, toutes les régions de la peau se distribuent les branches du plexus cervi- cal, en conséquence de la .compression que subissaient, dans les trous de conjugaison qui leur donnent passage, les troncs nerveux d'où émane ce plexus. La moelle cervicale et les racines des nerfs cervicaux, ainsi que l'autopsie l'a démontré, étaient saines ; mais en ouvrant les trous de conjugaison du côté droit, on trouva les ganglions spinaux et les troncs nerveux eux-mêmes, tuméfiés et vivement colorés en rouge. De plus, dans les ganglions, comme dans les nerfs, l'examen microscopique fit reconnaître une mul- tiplication très-accentuée des éléments nucléaires. Les gan- glions et les nerfs correspondants du côté gauche ne pré- sentaient, au contraire, aucune trace d'altération (1). 11 est très-remarquable de voir l'inflammation, encore exac- tement limitée aux ganglions et aux nerfs spinaux, se pro- duire spontanément, sans l'intervention d'une cause méca- nique quelconque, et provoquer, cependant, ainsi que l'a montré M. Von Baerensprung, l'apparition d'une éruption de zona, sur les parties de la peau correspondant à la dis- tribution des nerfs irrités (2). Il y a quelques raisons de

(1) Charcot et Cotard. Sur un cas de zona du cote avec altération des nerfs du plexus cervical et des ganglions correspondants des racines spinales postérieures. In Mémoires de la Société de Biologie. Année 1865, p. 41.

(2) V. Baerensprung. Beitraege zur Kenntniss des Zoster. In Arch. f.

TROUBLES TROPHIQUES LIÉS A LA NÉVRITE. 29

croire qu'un bon nombre des cas de zona spontané se dé- veloppent à la suite d'une névrite de ce genre (1). Les ganglions spinaux ont été trouvés aussi fortement altérés, sans participation de la moelle, des racines spinales tant antérieures que postérieures, et môme, cette fois, des nerfs intercostaux, dans le fait suivant rapporté tout récemment par M. E. Wagner (2).

Un individu, âgé de 23 ans, atteint de phthisie pulmonaire, présenta, dans les derniers temps de sa vie, une éruption de zona qui siégeait sur les parties correspondantes aux neuvième et dixième nerfs intercostaux du côté gauche. On reconnut, à l'autopsie, que les corps des six der- nières vertèbres dorsales et des deux premières lombaires étaient cariés. La dure -mère , dans les points corres- pondant aux vertèbres malades, était enveloppée à l'exté- rieur par une couche épaisse de pus caséeux, laquelle se prolongeait jusque sur les gaines des nerfs et des ganglions spinaux. La dure-mère, elle-même, était épaissie et dédou- blée en deux lamelles, surtout dans la région des 9°, 10° et 11° racines dorsales. Bien que les lésions de la dure-mère parussent aussi prononcées à droite qu'à gauche, cependant les 9e, 10e et 11e ganglions dorsaux du côté gauche étaient seuls tuméfiés et présentaient seuls des altérations appré- ciables au microscope. Dans ces trois ganglions, les cellules nerveuses avaient disparu, et, au voisinage immédiat des alvéoles elles se logent, on reconnaissait tous les carac- tères de la prolifération conjonctive anormale poussée à un haut degré.

J'ai vu, pour mon compte, dans plusieurs cas de ménin- gite spinale chronique, avec épaississement de la dure-

Anat. uni Physiolog. 4, 1865 et Canstati's Jahresb., 1864, t. IV, p. 128.

(1) Mougeot, loc. cit., p. 63.

(2) R. Th. Bahrdt. Beitraege zur jEtiologie des herpès Zoster. Diss. Leipzig, 1869, etE- Wagner. Patholog. analomische und Hinische Bei- traege zur Kenntniss des Gefaenerven. In Archiv. der Eeilkunde. 4e heft. Leipzick, 1870, p. 321.

30 PÉRINÉVRITE LÉPREUSE.

mère, l'inflammation concomitante des nerfs rachidiens, dans leur trajet à travers les méninges, provoquer dans les parties périphériques, outre une atrophie plus ou moins prononcée des masses musculaires, des éruptions cutanées diverses, mais se rapprochant, en général, guant à la forme, tantôt du zona et tantôt du pemphigus. Dans une leçon faite à Dublin (1), M. Brown-Séquard avait déjà signalé l'existence d'éruptions cutanées spéciales, aux bras, dans les cas de méningo-névrite spinale localisée à la partie in- férieure de la région cervicale.

L'éry thème, le zona, l'atrophie musculaire, certaines arthropathies enfin, ont pu être rattachés, par M. Duménil, à la névrite chronique progressive (2), et, par M. Leu- det (3), à la névrite périphérique consécutive à l'asphyxie par la vapeur du charbon.

Mais c'est surtout dans la lèpre anesthésique que l'on retrouve dans tout leur développement, les lésions trophi- ques que nous avons étudiées à propos des lésions trau- matiques des nerfs. Le processus morbide initial consiste, dans ce cas, comme on le sait d'après les importantes recherches de M. Virchow (4), en une périnévrite lépreuse caractérisée par une prolifération cellulaire spéciale, sié- geant dans l'intervalle des tubes nerveux dont elle déter- mine la destruction lente. Les nerfs présentent alors fré- quemment, sur leurs parcours, une tuméfaction fusiforme qui peut être quelquefois aisément reconnue, pendant la vie, dans les régions ils sont superficiels, au coude, par exemple, lorsqu'il s'agit du cubital et contribuer ainsi au diagnostic. Ces altérations produisent , au début , des

(1) Quaterlt/ Jovrnal of Médiane, may 1865 (p. 11, 12 du tirage à part).

(2) Duménil. Contributions pour servir à ï l histoire des paralysies péri- phériques, spécialement de la névrite. In Gaz. hebdomadaire, 1866, nos4, 5,6.

(3) Leudet. Recherches sur les troubles des nerfs périphériques, et sur- tout des vaso-moteurs, consécutifs à l'asphyxie par la vapeur du charbon. In Archives générales de médecine. Mai 1865.

(<i) R. Virchow. Die kranhhoflen Geschvt'dste. Nerven-Lepra, t. II, p. 521, 1864-65.

PÉRIXÉVRITE LÉPREUSE. 31

symptômes d'hyperesthésie, et. plus tard, de l'anesthésie. A l'exception du zona, que je ne trouve nulle part men- tionné, nous rencontrons dans ces circonstances, à peu de chose près, toute la série des lésions trophiques que nous avons déjà décrites: a) le pemphigus, pemphigus lepro- sus; b) l'état lisse de la peau (Glossy Skin) ; c) l'atrophie des muscles; d) la périostite et enfin la nécrose. Lorsque ces dernières lésions acquièrent un haut degré d'intensité, on peut, vous le savez, observer quelquefois la perte d'une partie d'un membre. Celle-ci survient souvent sans dou- leur, parce que, à l'époque elle a lieu, l'anesthésie existe le plus souvent {lepra mutilans) (1). On a attribué ces accidents divers et ces mutilations aux effets de l'anes- thésie. Cependant, elle ne doit certainement pas être mise seule en cause ; il est non-seulement prouvé qu'elle ne fait que faciliter l'intervention des influences extérieures, mais encore qu'elle peut être parfois reléguée au second plan, éliminée même, si l'on s'en rapporte aux cas cités par le docteur Thomson, et dans lesquels l'anesthésie faisait abso- lument défaut (2).

Nous n'avons pu que passer rapidement en revue les troubles de la nutrition qui résultent des lésions irritatives des nerfs périphériques. Dans les prochaines leçons, nous y reviendrons encore , mais nous insisterons principale- ment sur les troubles trophiques qui se rattachent à des lésions du cerveau et de la moelle épinière.

(l) F. Steudener. Beitraege zur Pathologie der Lepra Mutilans. Mit. 3, Taf Erlangen, 1867.

(2 A. S. Thomson. Brit. and. for. Med. Chir. Beview. 185-1, April, p. 496, cité par M. Yirchow.

DEUXIÈME LEÇON

Troubles trophiques consécutifs aux lésions des nerfs. (Suite). Affections des muscles.

Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la moelle épinière.

Sommaire. Modifications anatomiques et fonctionnelles que subissent les muscles sous l'influence de la lésion des nerfs qui les animent. Impor- tance de l'électrisation comme moyen de diagnostic et de pronostic. Re- cherches de M. Duchenne (de Boulogne). Expérimentation : Longue persistance de la contractilité électrique et de la nutrition normale des muscles à la suite de la section ou de l'excision des nerfs moteurs et mixtes chez les animaux. Faits pathologiques : Diminution ou aboli- tion hâtives de la contractilité électrique, suivies d'atrophie rapide des muscles dans les cas de paralysie rhumatismale du nerf facial et de lé- sions irritatives, soit traumatiques, soit spontanées des nerfs mixtes. Raison de la contradiction apparente entre les résultats expérimentaux et les faits pathologiques. Application des recherches de M. Brown-Séquard : Seules, les lésions irritatives des nerfs déterminent l'abolition hâtive de la contractilité électrique, suivie d'atrophie rapide des muscles.

Expériences de MM. Erb. Ziemssen et 0. Weiss. Ecrasement, ligature des nerfs : ce sont des lésions irritatives. Différence des résultats obte- nus dans l'exploration des muscles suivant qu'on fait usage de la faradi- sation ou de la galvanisation. Les résultats de ces nouvelles recher- ches sont comparables aux faits pathologiques observés chez l'homme ; ils n'infirment en rien la proposition de Brown-Séquard.

Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la moelle épinière. En ce qui concerne leur influence sur la nutrition des muscles, ces lésions for- ment deux groupes bien distincts ; 1er groupe : Lésions de la moelle qui n'ont pas d'influence directe sur la nutrition des muscles : a. Lésions en foyer très-circonscrites n'intéressant la substance grise que dans une très-petite étendue en hauteur : Myélite partielle, tumeurs, mal de Pott. b. Lésions fasciculées même très-étendues des cordons blancs postérieurs ou antéro-latéraux, mais sans participation de la substance grise : sclérose primitive ou consécutive des cordons postérieurs, antéro-latéraux, etc. 2e groupe : Lésions de la moelle qui influencent plus ou moins vite la nutrition des muscles : a. Lésions fasciculées ou circonscrites qui intéres-

AFFECTIONS DES MUSCLES. 33

sent les cornes antérieures de la substance grise dans une certaine éten- due en hauteur : Myélite centrale, hématomyélie, etc. b. Lésions irrita- tives des grandes cellules nerveuses des cornes antérieures de la substance grise avec ou sans participation des faisceaux blancs : paralysie infantile spinale, paralysie spinale de l'adulte, paralysie générale spinale (Du- chenne, de Boulogne), atrophie musculaire progressive, etc. Rôle pré- dominant des lésions de la substance grise dans la production des troubles trophiques musculaires. La proposition de M. Brown-Séquard s'ap- plique encore à l'interprétation de ces faits.

Messieurs,

Dans la dernière séance, j'ai évité à dessein, en faisant l'histoire des troubles de la nutrition consécutifs aux lé- sions des nerfs, de m'appesantir sur les modifications ana- tomiques ou fonctionnelles que subissent les muscles sous l'influence de ces lésions. Je voulais réserver cette ques- tion .pour une étude spéciale. En réalité, c'est vous allez bientôt le reconnaître un sujet hérissé de difficultés de tous genres et qui est encore l'objet de mille controverses.

Vous n'ignorez pas que de grands progrès ont été ac- complis dans l'histoire clinique des paralysies sous l'in- fluence des travaux de M. Duchenne (de Boulogne). Mais vous n'ignorez pas non plus, sans doute, qu'un bon nombre des faits, découverts par cet éminent patholo- giste, semblent être en contradiction flagrante avec les ré- sultats obtenus par les physiologistes dans l'expérimentation chez les animaux.

Quelle est la raison de ce désaccord ? Dans quelle voie la conciliation doit-elle être trouvée ? Voilà des deside- rata auxquels je ne vous promets pas de répondre en tous points d'une manière satisfaisante. Je ne puis cependant reculer devant la difficulté ; je dois tout au moins l'aborder. A la vérité, j'ai quelque répugnance à traiter une ques- tion où les résultats de l'exploration électrique des nerfs et des muscles doivent être invoqués à chaque instant devant des hommes qui ont fait de ce mode d'examen une

Charcot, t. i, 3e éd. 3

34 EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX.

étude si approfondie ; mais s'ils rencontrent la critique, j'espère qu'ils voudront bien m'accorder toute leur indul- gence.

1.

On peut dire que, d'une manière générale, Vélectro- diagnostic, accordez-moi ce néologisme, annonce et dé- montre, dans certains cas pathologiques il s'est produit, une lésion quelque peu intense d'un nerf moteur ou d'un nerf mixte, l'existence d'une rapide et profonde diminution, voire même la disparition de cette propriété qu'on est con- venu d'appeler du nom de contractilité électrique, tandis que l'expérimentation chez les animaux semble établir, au contraire, que, à la suite des lésions des nerfs qu'elle provoque, les muscles conservent pendant un temps relati- vement fort long, et même suivant quelques auteurs, d'une façon à peu près indéfinie, la propriété de se contracter sous l'influence des excitations électriques.

Vous comprendrez sans peine l'intérêt qui, à notre point de vue, s'attache à la constatation et à l'étude des faits de ce genre. Il suffira de vous rappeler que l'affaiblissement et à plus forte raison la perte de la contractilité électrique survenant rapidement à la suite de la lésion d'un nerf sont, ainsi que l'exploration clinique l'a souvent démontré, le premier terme d'une série de phénomènes qui aboutissent dans certains cas, presque fatalement, si le médecin n'inter- vient pas, à l'atrophie plus ou moins complète du muscle et à la perte quelquefois définitive de ses fonctions.

Pour mieux mettre en lumière le point sur lequel porte la dissidence que je viens de signaler à votre attention, laissez-moi, Messieurs, vous rappeler brièvement les faits expérimentaux auxquels j'ai fait allusion.

A. Il s'agit, dans ces expériences, de rechercher quelles

EXPÉRIENXES SUR LES ANIMAUX. 35

sont les modifications qui surviennent dans les propriétés des muscles et dans leur structure anatomique,. après la section ou l'excision des nerfs qui le-s animent. Les expé- riences abondent ; elles ont été maintes fois répétées par MM. Longet, Schiff, Brown-Séquard, Yulpian, et il faut ajouter que les résultats qu'elles o»t donnés paraissent, du moins pour les points essentiels, tout à fait concordants. Nous allons vous rappeler les principaux incidents qui nous paraissent mériter d'être relevés dans ces expériences.

Le bout périphérique du nerf sectionné ou excisé, du cinquième au huitième jour après l'opération, commence à subir, jusque dans ses ramifications les plus tenues, une série d'altérations qui ont pour conséquence ultime la dis- parition du cylindre de myéline, tandis que le filament axile paraît, lui, au contraire, persister à peu près indéfiniment (1).

Cependant, dès le quatrième jour, c'est-à-dire avant même que les lésions de la dégénération soient appréciables, le nerf a perdu déjà la faculté d'être excité par les divers agents, et en particulier par les agents électriques (2). Sur ce point tout le monde est parfaitement d'accord.

En ce qui concerne le muscle, il n'offre tout d'abord au- cune modification de la contractilité électrique. L'amoin- drissement et, à plus forte raison, l'anéantissement de cette propriété, s'ils se produisent, ne se manifestant jamais qu'à la longue, très-tardivement. C'est un second point sur lequel il n'y a pas de divergence. Si quelques physiologis- tes disent avoir vu la contractilité électrique s'affaiblir ou même disparaître de six à douze semaines après la section d'un nerf mixte, M. Schiff l'a trouvée, par contre, dans ces

(1) M. Schiff a montré que, dans le cas de dégénération des nerfs consé- cutiveà la section, contrairement à ce que M. Waller avait avancé, les fila- ments axiles persistent ; il a retrouvé les filaments dans les fibres nerveuses de nerfs coupés depuis cinq mois chez les mammifères. « Nous avons éga- lement reconnu, dit M. Vulpian (Leçons sur la physiologie du système ner- veux, 1866, p. 239), l'existence de ce filament axile au bout déplus de six mois. Il me paraît bien probable qu'il persi&te au-delà de ce temps. »

(2) Vulpian, loc. cit.> p. 235.

36 CONTRACTILITÉ ÉLECTRIQUE.

mêmes circonstances, parfaitement conservée encore au bout de quatorze mois .(1); il en est absolument de même lorsque la section porte sur un nerf exclusivement moteur. Déjà M. Longet avait fait voir que, tandis que la motricité des nerfs est, comme on l'a dit, entièrement abolie quatre jours après leur section, l'irritabilité musculaire, lorsqu'il s'agit du nerf facial, persiste dans les muscles correspon- dants, pendant' plus de douze semaines (2). Après l'arrache- ment ou la section du nerf facial, MM. Brown-Séquard et Martin-Magron ont vu, de leur côté, l'irritabilité des mus- cles faciaux survivre, chez les cochons d'Inde et chez les lapins, pendant près de deux ans (3). M. Vulpian a été, lui aussi, témoin de faits absolument semblables (4). Vers 1841, dans le laboratoire de mon excellent maître, Martin- Magron, alors que je m'essayais dans une direction que ma sensibilité à l'égard des animaux devait me faire abandon- ner bientôt, j'ai pu constater moi-même, après l'arrache- ment du facial, la persistance presque indéfinie de la con- tractilité électrique des muscles correspondants.

Le résultat est si palpable, si frappant, si facile à cons- tater, que la plupart des physiologistes en sont, si je ne me trompe, à se demander si l'irritabilité musculaire disparait jamais complètement à la suite de la section ou de l'exci- sion des nerfs ; tout au plus concèdent-ils qu'en pareil cas il puisse se produire, à la longue, un affaiblissement plus ou moins prononcé de la propriété contractile des muscles. Presque tous font remarquer que si, quelquefois, les excita- tions électriques deviennent impuissantes à déterminer la

(1) Schiff. Zehrbuch der Physiologie des Jlfenschen, 1858-59, p. 18. M. SchifF aurait vu deux fois l'excitabilité des muscles persister quatorze mois après la sectiou des nerfs correspondants. Dans un cas, il s'agissait du nerf hypoglosse, dans un autre cas du nerf sciatique.

(2) Longet. Anatomie et physiologie du système nerveux^ t. I, p. 03, 1842.

(3) Brown-Séquard. Bulletins de la Société philomatiçue, 1847, p. 74 et 88. Bulletins de la Société de Biologie, t. III, 1851, p. 101.

(4) Vulpian, loc. cit , p. 235.

EXPERIMENTATION. 3/

contraction des muscles, toujours celle-ci se manifeste sous rinfluence des irritations mécaniques.

Il était à présumer que les modifications tropliiques cor- respondant à ces modifications fonctionnelles devraient, elles aussi, se produire très-lentement et se montrer peu accusées. C'est en effet ce qui parait avoir lieu : la plupart des auteurs semblent s'accorder à reconnaître que l'atro- phie du muscle, sa dégénération histologique, ne survien- nent à la suite de la section des nerfs, qu'au bout d'un temps fortlong. C'est à peine, suivant M. Longet(l), si trois •mois après la section du nerf facial, les muscles correspon- dants, examinés après la mort, présentaient de légères traces d'atrophie. Mais.il ne s'agit là, sans doute, que d'un examen fait à l'œil nu. Au rapport de M. SchifF, lorsque la paratysie consécutive à la section du nerf, date de loin, les muscles présentent un certain degré d'amaigrissement. Il est vraisemblable qu'un certain nombre de faisceaux musculaires s'atrophient et disparaissent ; dans la plupart des cas, le microscope fait constater qu'un bon nombre de ces faisceaux subissent en outre l'altération graisseuse, en même temps que de la graisse s'accumule dans les inter- valles qui les séparent (2). Les observations de M. Vulpian ont donné des résultats analogues : toutefois, suivant lui, la dégénérescence graisseuse des fibres musculaires ferait souvent défaut d'une manière absolue (3).

Avant de comparer les faits pathologiques aux résultats des expériences instituées chez les animaux, il importe de bien préciser les conditions dans lesquelles ces expériences

(1) Longet, loc cit., p. 63.

(2) Schiflf, loc. cit., p. 175.

(3) Vulpian, loc. cit., p. 246. Dans les cas de paralysie consécutive à la section des nerfs, outre l'atrophie des faisceaux primitifs qui se produit à la longue, M. Vulpian a noté depuis longtemps la prolifération des noyaux du sarcolemme et quelques autres indices d'un processus inflammatoire. C'est un fait très-intéressant signalé plus récemment par d'autres observateurs et sur lequel nous aurons à revenir un peu plus loin. (Voir la note, p. 41).

38 FAITS PATHOLOGIQUES.

sont conduites. En premier lieu, le physiologiste pratique la section ou l'excision des nerfs musculaires ; en second lieu, il a recours à l'excitation électrique directe, c'est-à- dire appliquée sur le nerf ou sur le muscle mis à nu; enfin c'est à peu près exclusivement le galvanisme qu'il met en œuvre comme moyen d'exploration et il ne tient pas compte de la différence qui peut exister, au point de vue de leur action sur la fibre nerveuse ou sur le faisceau musculaire, entre l'excitation obtenue à l'aide des courants dHnduction (courants interrompus) et celle que déterminent les cou- rants dits galvaniques (courants continus). Telles sont les circonstances qu'il importe de relever surtout à propos des expériences que j'appellerai anciennes, bien qu'elles ne da- tent pas encore de fort loin. Nous verrons plus tard que des observations toutes récentes, et dans lesquelles l'action des deux ordres de courants a été étudiée comparativement, ont donné des résultats qui semblent différer, à quelques égards, de ceux qu'avaient fournis les premières expériences.

B. Il est temps de revenir maintenant à la pathologie hu- maine. Les faits qu'elle nous présente se rapportent à des lésions de nerfs mixtes ou moteurs, survenues soit sponta- nément, soit à la suite d'un traumatisme.

Nous rappellerons en premier lieu les phénomènes qui ont été observés dans les cas de paralysie périphérique du nerf facial et, en particulier, lorsque cette paralysie résulte de l'impression du froid (paralysie rhumatismale, a frigoré). M. Duchenne (de Boulogne) a fait voir, vous ne l'ignorez pas, qu'en pareille circonstance, dès avant la fin du pre- mier septénaire, la contractilité électrique des muscles de la face est déjà remarquablement amoindrie et paraît même, quelquefois, tout à fait éteinte (1). Tous' remarque- rez qu'entre cette époque, sept jours, qui pe^ut marquer,

(l) Duchenne (de Boulogne). Electrisation localisée, 2e édition, 1861, p. 669.

FAITS PATHOLOGIQUES. 39

d'après M. Duchenne, le début de l'affaiblissement de la contractilité électrique dans la paralysie rhumatismale du nerf facial, et le terme assigné par quelques physiologistes à la persistance de cette môme propriété chez les animaux, après la section des nerfs, la distance est grande. Cepen- dant,des observations répétées maintes et maintes fois ont démontré la parfaite exactitude de l'assertion de M. Du- chenne. Tout récemment encore, dans un cas de paralysie rhumatismale du nerf facial, M. le Dl> Erb, ayant été mis à même de suivre jour par jour, dès le début, la marche des symptômes, a vu, le neuvième jour, la contractilité élec- trique déjà considérablement amoindrie (1). Dans un cas du même genre recueilli par M. Onimus (2), huit jours après l'invasion de la maladie, des courants induits appli- qués sur les muscles paralysés ne donnaient pas lieu à la moindre contraction.

Le même phénomène s'observe communément dans les cas de paralysie périphérique du nerf facial autres que ceux qui dépendent de l'impression du froid et aussi dans les paralysies traumatiques des nerfs des membres. Ces dernières résultent le plus souvent, comme on le sait, de la compression brusque, de la contusion, de la commotion subies par un nerf mixte, en conséquence des luxations scapulo-humérales par exemple. On a vu plusieurs fois, à la suite de ces accidents divers, la contractilité électrique déjà très-notablement affaiblie dès le dixième ou même dès le cinquième jour, dans les muscles frappés de paralysie (3).

L'observation clinique démontre, vous ne l'ignorez pas, qu'en règle générale, les muscles qui présentent ainsi la prompte diminution et surtout la prompte disparition de la

(1) W. Erb. Zar Pathologie uni patholo g ischen Anatomie peripheris- cher Parahjsen. In Dentsch. Arckiv, t. IV, 1868, p. 539. Cas de Gradolf.

(2) Gazette des hôpitaux, 30 juin 1870, p. 298.

(3) Duchenne (de Boulogne), loc. cit. Obs., p. 191. Paralysie, suite de luxation scapulo-humérale. Obs., p. 193. Paralysie, suite de contusion du nerf cubital.

40 ALTERATIONS DES MUSCLES.

contractilité électrique, ne tardent pas à subir une atrophie qui devient parfois très-rapidement appréciable, principa- lement lorsqu'il s'agit des membres. Il serait très-intéres- sant d'étudier dans les diverses phases de leur développe- ment les altérations histologiques auxquelles se rapporte cette atrophie rapide des masses musculaires ; mais c'est un sujet sur lequel nous ne possédons encore qu'un très- petit nombre de renseignements précis. Il semble ressortir cependant de quelques observations et, en particulier, d'un fait rapporté avec détails par le Dr Erb, que ces lésions n'auraient rien de commun avec la dégénération graisseuse pure et simple, toute passive et telle qu'on l'observe dans les muscles qui ont été durant longtemps condamnés à l'inaction ; elles offriraient au contraire les caractères les plus nets d'un processus inflammatoire, à savoir : une lry- perplasie plus ou moins prononcée du tissu conjonctif in- terstitiel, rappelant jusqu'à un certain point ce qu'on trouve dans la cirrhose, et une multiplication des noyaux du sar- colemme. En même temps que ces altérations se dévelop- pent, les faisceaux musculaires subissent une diminution très-prononcée dans leur diamètre transversal, mais ils conservent, pour la plupart, leur striation. La dégénération granulo-graisseuse des faisceaux musculaires se rencontre rarement en pareil cas et paraît être tout à fait acciden- telle (1).

(l) Voici, en abrégé, l'observation rapportée par le, docteur Erb dans son intéressant mémoire : Peter Schmieg, âgé de 22 ans, est atteint de phthisie pulmonaire parvenue à la dernière période. Il présente en outre les signes d'une carie du rocher et de l'apophyse mastoïde. Un abcès s'est ou- vert au voisinage de cette dernière. Le 22 mars 1867, il se développe subi- tement une paralysie presque complète du nerf facial gauche. La paralysie est surtout prononcée au muscle frontal. La contractilité électrique ayant été explorée le 24 mars d'abord (2e jour de la maladie), puis le 3 avril (12e jour) à l'aide de la faradisation, a été trouvée normale à ces diverses époques. Pour la première fois le 17 avril (26e jour), on constate que les muscles frontal et zygomatique du côté gauche ne se contractent que très- faiblement sous l'influence des excitations faradiques. Le 30 avril (39e jour), la faradisation ne provoque plus de contractions dans les muscles frontal et

ALTÉRATIONS DES MUSCLES. k I

Il est clair que si, dans le cas d'atrophie musculaire que les physiologistes obtiennent à la longue, par la section ou l'excision des nerfs, la lésion histologique était toujours la dégénération graisseuse, sans trace de processus irritatif initial, le contraste serait des plus accusés. Mais, malheu- reusement pour la simplicité des choses, nous verrons qu'il n'en est peut-être pas ainsi (1).

zvgomatique du côté gauche. Les autres muscles de la face, du même côté, ne répondent que faiblement aux excitations. La mort survient le 2 mai (40e jour de la maladie). Autopsie : Le tronc du nerf facial confine à un abcès qui s'est ouvert derrière l'oreille ; il est à nu dans une certaine éten- due. De tous côtés, le tronc nerveux est enveloppé par une masse de tissu conjonctif induré. Cette enveloppe conjonctive adhère intimement à la gaine externe du nerf; ce dernier, cependant, est encore mobile dans la gaîne. A l'œil nu, les branches du facial ne présentent aucune modification appré- ciable; au contraire, le muscle frontal gauche est pâle, flasque, aminci. Dans le point le tronc nerveux est enveloppé par la masse de tissu con- jonctif on aperçoit, interposé entre les fibres nerveuses, beaucoup de tissu con- jonctif fibrillaire avec de nombreux noyaux ovalaires, faiblement grenus. Les fibres nerveuses elles-mêmes présentent,, en certain nombre, les divers de- grés de la dégénération graisseuse. Beaucoup de fibres ont conservé les caractères de l'état normal. Quelques-uns des filets nerveux qui se rendent au muscle frontal ne renferment guère que des fibres nerveuses dégénérées ; d'autres, appartenant vraisemblablement au trijumeau, ont toutes leurs fibres à l'état normal. Le muscle frontal gauche est profondément altéré ; on observe d'épaisses cloisons de tissu conjonctif nouvellement formé, inter- posées entre les faisceaux musculaires primitifs. Ces derniers ont subi une réduction de volume très-prononcée et, de plus, ils renferment des noyaux en grand nombre. La striation transversale est conservée sur la plupart des fibres musculaires atrophiées ; sur d'autres, elle est à peine distincte. Un certain nombre de faisceaux primitifs offrent les caractères de l'altération ci- reuse, mais l'altération granulo-graisseuse ne s'observe sur aucun d'eux. (W. Erb, loc. cit.,Beutsch Archiv. Bd. 5, 1869, p. 44).

(l; Nous nous réservons de revenir, dans le courant de nos leçons, sur ce point délicat. Pour le moment, il nous suffira de noter que des lésions irrita- tives des muscles, en tout semblables à celles qui viennent d'être décrites, ont été récemment signalées par des observateurs très-compétents, chez di- vers animaux, à la suite de la section et de l'excision des nerfs mixtes ou purement moteurs, c'est-à-dire en dehors des conditions qui produisent d'habitude les lésions irritatives des nerfs. Ainsi, à la suite de l'excision d'un tronçon de nerf sciatique, M. Mantegazza (Histo!ogisch. Yeranderun- gtn nach der Nervendurchschneidung in Schmdfs Jahresi.,p. 148, 1857, 1. 136, et Gaz. Loîab. p. 18, 1867) a trouvé, à partir du 30e jour, les muscles déjà pâles, le tissu conjonctif intermédiaire aux faisceaux primitifs manifestement

42 CONTRADICTION APPARENTE.

Il résulte, en somme, du parallèle que nous venons de vous présenter, que les faits cliniques, observés cependant avec le plus grand soin, sont, ou du moins paraissent être, en opposition formelle avec les faits expérimentaux recueil- lis également par les procédés les plus rigoureux. Nous devons nous efforcer de pénétrer la raison de ce désac- cord. Recherchons d'abord si l'on peut la trouver dans la

hypertrophié, les faisceaux eux-mêmes diminués de volume, présentant une multiplication évidente des noyaux du sarcolemme, mais ayant conservé la striation transversale. Un hon nombre de ces faisceaux offraient l'aspect granuleux, mais les granulations se dissolvaient dans l'acide acétique. De son côté, M. Vulpian a rencontré des altérations identiques, dans les mus- cles de la langue, chez le chien, cinquante jours après l'avulsion du bout central du nerf hypoglosse (Archiv. de Physiolog., t. II, p. 572, 1869). L'absence de dégénération graisseuse des faisceaux primitifs, l'atrophie de ces faisceaux avec persistance de la striation transversale et prolifération des noyaux du sarcolemme, ont été également observées par M. Vulpian [loc. cit., p. 539) chez l'homme, sur les muscles de la jambe, dans un cas de résection d'un segment du nerf scialique datant de cinq mois. Cela étant, on est conduit à admettre que les sections complètes, les excisions, les avul- sions de nerfs déterminent quelquefois dans ces nerfs des lésions irritatives ; ou bien si les observations ultérieures devaient présenter comme constant le fait observé par MM. Vulpian et Mantegazza que les altérations mus- culaires qui se produisent à la suite des lésions passives des nerfs moteurs ou mixtes, ne se séparent pas essentiellement, au point de vue histologique, de celles qui surviennent consécutivement aux lésions irritatives de ces mêmes nerfs. Si les faits devaient donner raison à la deuxième hypothèse, il y aurait lieu, néanmoins, pensons-nous, de différencier encore, malgré tant d'analogies, les altérations musculaires liées à finertie fonctionnelle de celles qui succèdent à l'irritation des nerfs. Il paraît démontré, en effet, que ces dernières se produisent beaucoup plus rapidement et sont précédées ou accompagnées de modifications plus ou moins prononcées de la contractilité électrique, lesquelles ne se montrent pas avec les mêmes caractères, dans les premières et ne s'y manifestent qu'au bout d'un temps relativement fort long. Il serait à désirer qu'une série de recherches fût instituée dans le but spécial d'élucider la question qui vient d'être soulevée. 11 existe en effet, déjà, uu certain nombre de faits tendant à démontrer que l'immobilisation peut, à elle seule, en dehors de toute iafluence du système nerveux, provo- quer dans certains organes, dans certains tissus, des lésions trophiques offrant tous les caractères d'un processus inflammatoire. Je me bornerai à citer un exemple. On connaît les affections articulaires décrites par MM. Tes- sier et Bonnet et qui surviennent lorsque les membres sont condamnés à l'immobilité que nécessite le traitement de certaines fractures. Tout récem- ment M. Menzel a entrepris des expériences qui consistent à immobiliser chez des chiens et des lapins, à l'aide d'un bandage plâtré, un certain nom-

INFLUENCE DU MODE D EXPLORATION. 43

différence des conditions d'observation se placent d'une part le physiologiste, d'autre part le médecin.

Un premier point qu'il importe défaire ressortir est rela- tif au mode d'exploration. Le pathologiste se trouve dans la nécessité de n'explorer le muscle qu'à travers la peau, tandis que le physiologiste, ainsi que nous l'avons fait re- marquer déjà, agit, lui, dans des conditions bien plus favo- rables puisqu'il lui est loisible de porter les rhéophores di- rectement sur le nerf ou sur le muscle. Il était permis de prévoir qu'étant donné un affaiblissement de la contractilité électrique porté à un certain degré, l'application directe serait capable de déterminer encore des contractions alors que l'exploration faite à travers la peau se montrerait peut- être impuissante à en produire, ou ne donnerait que des contractions très-affaiblies. L'expérience justifie cette pré- vision. C'est ainsi que dans un cas de pied bot, avec dé- génération graisseuse des muscles, l'on fut obligé de pratiquer l'amputation, Valentin a vu, après l'opération, des contractions, faibles il est vrai, se manifester sous l'in- fluence de l'excitation directe, dans un des muscles les plus profondément altérés (1). Dans ce cas, si l'on en juge par analogie, l'exploration à travers la peau n'eût vraisembla- blement donné aucun résultat. Quelques faits empruntés à la physiologie expérimentale parlent dans le même sens. Sur un lapin chez lequel le nerf facial du côté droit avait été coupé un mois environ auparavant, l'électricité appli-

bre de jointures. Or, dès le 15e jour, on trouve, en pareil cas, la membrane synoviale vivement injectée et tuméfiée ; la cavité articulaire renferme des globules rouges, des leucocytes et des cellules épithéliales; enfin, les cellules du cartilage diarthrodial soût le siège d'un travail de prolifération très-ac- cusé [Gazette médicale de Strasbourg, 5, 1871). Ces recherclies méritent d'être poursuivies et appliquées à l'étude des modifications que peuvent subir les diverses parties d'un membre sous l'influence de l'inertie fonctionnelle plus ou moins longtemps prolongée.

(l) Valentin. Versuch einer physiologischen Pathologie der Nerven. Leipzig und Heidelberg, 1864, 2e abtb., p. 42.

44 FARADISATION ET GALVANISATION.

quée au travers de la peau rasée et humectée d'eau, sur les muscles faciaux du côté de l'opération, ne produisait pas d'effet apparent, tandis qu'il y avait des contractions extrêmement fortes lorsqu'on électrisait les points homo- logues du côté opposé. Les muscles ayant été mis à nu du côté le nerf avait été coupé, on pouvait y provoquer, par l'électricité, des contractions très-évidentes (1). Sur un cheval vigoureux, on avait excisé cinq centimètres en- viron du nerf poplité externe gauche. Un mois après l'opé- ration, les poils furent rasés sur la face antéro-externe de chaque jambe et l'on appliqua les rhéophores d'une pile, d'abord sur le côté sain : il survint des contractions éner- giques. On les appliqua ensuite sur les muscles du côté op- posé et il ne se produisit aucune contraction. Alors on mit à nu les muscles paralysés et on appliqua sur eux, directe- ment, les excitateurs, l'instrument étant gradué au mini- mum: de vives contractions se manifestèrent (2). On pour- rait sans doute aisément réunir bon nombre d'exemples du même genre. Il devient démontré parla que l'exploration à travers la peau ne peut fournir que des données relatives, qu'elle ne révèle pas l'état réel de la contractilité électrique; mais telles qu'elles sont ces données n'en sont pas moins exactes, en somme, et de la plus haute importance, car il est impossible de ne pas reconnaître que la perte apparente ou la diminution très-marquée de la contractilité, accusée par une exploration à travers la peau, correspond à une diminution ou tout au moins à une modification très-réelle de cette propriété.

Une autre remarque que je veux vous présenter a trait à la nature de l'agent électrique dont on se sert pour l'ex- ploration. Le galvanisme, ainsi que je vous le disais il y un instant, a été à peu près seul employé dans les expériences relatives aux sections de nerfs chez les animaux, tandis

fl) Vulpian. Physiologie du système nerveux ,1806, p. 245.

(2) Expérience de M. Chauveau.dans Magnien. Thèse de Paris, 1866, p. 21.

FÀRADISATION ET GALVANISATION. Ii'ô

qu'en clinique, suivant la méthode de M. Duchenne, l'ex- ploration a été jusque dans ces derniers temps pratiquée exclusivement à l'aide de la faradisation. Or, il résulte de recherches laites, il y a quelques années, en Allemagne et reprises en France tout récemment, que le galvanisme a le pouvoir de provoquer fréquemment des contractions mus- culaires là même la faradisation semble accuser une perte absolue de la contractilité électrique.

Ce fait, constaté pour la première fois par Baïerlacher, en 1859 (1), dans un cas de paralysie faciale, a été observé depuis dans les mêmes circonstances ou dans divers cas de paralysies consécutives à la lésion traumatique des nerfs mixtes, par Schultz (2), Brenner (3), Ziemssen (4), Rosen- thal (5), Meyer (6), par Bruckner (7), dans la paralysie pseudo-hypertrophique et par Hammond, enfin, dans la paralysie infantile.

On voit d'après cela que le galvanisme pourrait accuser encore des contractions dans bien des cas de paralysie, soit rhumatismale, soit traumatique, l'exploration faite ex- clusivement, à l'aide de la faradisation, annoncerait une profonde altération de la contractilité électrique, mais, même cela étant, le caractère tiré de l'abolition ou de la diminution hâtives de la contractilité faradique n'en sub- sisterait pas moins dans toute sa valeur ; il permettrait tou- jours de maintenir le contraste entre les paralysies par lésions des nerfs que nous offre ordinairement la clinique et les paralysies qu'on détermine chez l'animal, par la sec-

(1) Baïerlacher. Bayz. d.rztl. Intelligenzllatt, 18G8.

(2) Schultz Wiener medic. Woehenschr., 1869, 27.

(3) Grûnewaldt. ther die Lâhmungen des Nerv. facialis. Pet. med. Ztsch. Brl. III, 1862, p. 321 ff.

(4) Ziemssen. Elektricitât in der Jfcd. 2 aufl., 1864.

(5) Rosenthal. Elehtrotherapie, 2 aufl., 1869.

(6) Meyer. Die Elektricitât, etc. 2 aufl., 1861.

(7) Bruckner. Deutsch Klimk, 1865, 30.

46 SECTIONS COMPLETES DES NERFS.

tion des troncs nerveux, puisque, dans ces dernières, le caractère en question fait défaut.

Nous devons examiner actuellement si les lésions des troncs nerveux qui provoquent une prompte modification de la contractilité électrique, bientôt suivie d'atrophie musculaire, sont assimilables, sans réserves, ainsi que quel- ques auteurs semblent le croire, aux sections de nerfs pra- tiquées chez l'animal. En réalité, Messieurs, il n'en est rien, et, si je ne me trompe, c'est dans cette circonstance qu'il faut chercher le nœud de la question en litige. On peut dire que, d'une manière générale, les sections ou les exci- sions de nerfs n'éveillent habituellement, dans ceux-ci, au- cun travail de réaction. La dégénération des fibres du bout périphérique, qui suit l'opération à titre de conséquence nécessaire, peut être considérée, en somme, à la condition toutefois qu'il ne s'y mêle aucune complication, comme un processus purement passif. Les muscles desservis par les nerfs sectionnés sont nécessairement frappés d'inertie fonc- tionnelle ; mais ils ne paraissent pas subir d'autres altéra- tions que celles qui, à. la longue, résultent de l'inaction (1).

Bien différentes sont les affections des nerfs auxquelles se rattachent, chez l'homme, les accidents qui sont l'objet de notre étude. A peu près toujours, lorsqu'elles sont d'origine traumatique, elles naissent, nous l'avons dit, sous l'in- fluence de causes telles que la commotion, la contusion, la compression, une division incomplète, toutes éminemment propres à susciter, dans les divers tissus qui entrent dans la composition du nerf, le développement d'un processus ir- ritatif. De fait, il n'est pas rare, dans les cas de ce genre, que l'atrophie musculaire à marche rapide, foudroyante en quelque sorte, annoncée presque dès l'origine par la perte et la diminution de la contractilité faradique, soit ac- compagnée, précédée ou suivie, lorsqu'il s'agit d'un

(l) Voir la note 1, p. 41,

LÉSIONS IRRITATIVES DES NERFS. 47

nerf mixte, de douleurs plus ou moins vives ou de sen- sations anormales, indices de l'irritation que subissent les fibres sensitives (1). À ces douleurs s'adjoint fréquemment l'apparition de ces troubles trophiques de la peau (érup- tions pemphigoïdes, peau lisse, herpès) que nous avons ap- pris à connaître comme un des effets des lésions irritatives des nerfs cutanés et qui ne s'observent en aucune façon dans les cas de section pure et simple des troncs nerveux (2). Les affections développées spontanément prêtent à des con- sidérations identiques : tantôt il s'agit d'une carie du rocher; le tronc du nerf facial baigne dans le pus il est enveloppé de toutes parts, ainsi que cela avait lieu dans l'observation du docteur Erb, par une gaine épaisse de tissu conjonctif nouvellement» formé (3) ; d'autres fois, le nerf est comprimé par une tumeur lentement développée, qui a dû, pendant un certain temps, irriter les fibres nerveuses avant d'en déter- miner l'aplatissement complet. Il n'est pas jusqu'à la para- lysie dite rhumatismale ou à frigore du nerf facial qui ne semble devoir être rattachée bien que, sur ce point, nous ne possédions pas encore d'observations positives, à l'inflammation de la gaine conjonctive du tronc ner- veux (4).

Je n'ignore pas que les sections complètes des nerfs se rencontrent assez fréquemment dans la pratique chirurgi-

(1) Duchenne (de Boulogne), loc. cit., obs., IX, X.

(2) Voir, entre autres, une observation rapportée récemment par le docteur Constantin Paul [Société de Thérapeutique, séance du 7 mai 1871, in Ga- zette médicale , p . 257, 25, 1871). « L'un des troubles de nutrition les plus remarquables, produits par les lésions de nerfs, est l'émaciation ou l'atrophie des muscles desservis par ces nerfs. Cette atrophie peut exister seule ou se montrer associée à d'autres troubles nutritifs du même genre oc- cupant la peau ou ses annexes.» (Mitchell, Morehouse et Keen. Gunshot Wonnds, etc., p. 69).

(3) Voir : P. Brouardel. Lésions du rocher, carie, nécrose, et des corn," plications qui en sont la conséquence. Extrait du Bulletin de la Société ana- tomique. Paris, 1867.

(4) F. Niemeyer. Lehrbuck der Sjjcc. Pathologie wid Thérapie. 7e aufl. 2Bd. p. 365.

48 LÉSIONS IRRITATIVES DES NERFS.

cale ; je sais aussi qu'on peut voir survenir, en pareille cir- constance, l'atrophie des muscles et la perte de la contra c- tilité électrique. Mais je ne crois pas qu'on puisse présenter beaucoup de faits de cet ordre dans lesquels on ait observé, dès les premiers jours, la diminution ou la perte de la contractilité faradique et, dès les premières semaines, V atrophie et la génération des muscles. Bien que j'aie entrepris quelques recherches à ce sujet, je n'ai pas trouvé jusqu'ici d'observations incontestablement douées de ce caractère.

Nous sommes ainsi conduits, Messieurs, à faire intervenir ici, encore, la lumineuse distinction proposée par M. Brown- Séquard : seule l'irritation des nerfs serait capable d'oc- casionner l'atrophie rapide et hâtive des muscles, précédée elle-même de la diminution ou de la disparition de la contractilité faradique. La division complète des nerfs n'amène V atrophie et la perte des réactions électriques qu'au bout d'un temps incomparablement beaucoup plus long, à V instar du repos prolongé.

Cela étant admis, il nous faut rechercher actuellement, comment, étant donnée la lésion irritative des troncs ner- veux dont nous venons de reconnaître l'existence, on peut en faire dériver, à titre de conséquence plus ou moins directe, la perte rapide de la contractilité électrique, l'atrophie hâ- tive des muscles et, en un mot, toute la série des phéno- mènes que dévoile l'observation clinique dans les cas qui nous occupent.

L'affaiblissement ou la perte de la contractilité est, vous le savez, après la paralysie motrice qui, dans la grande ma- jorité des cas, ouvre la marche, le premier fait qu'on constate en semblable occurrence. Quelques auteurs semblent voir, dans ce phénomène, une conséquence toute simple de la perte de l'excitabilité du nerf, laquelle surviendrait ici, de très-bonne heure (vers le jour), comme dans le cas des sections nerveuses, et se rattacherait elle-même à la dégé- nération des gaines médullaires au-dessous du point lésé. Il

LÉSIONS IRRITATIVES DES NERF^. 49

paraît certain que les contractions des muscles, déterminées par l'électrisation,sont plus prononcées lorsqu'on peut agir sur eux par l'intermédiaire des nerfs que lorsque l'exci- tation, par suite de la destruction des filets nerveux, ne peut plus porter sur la substance contractile elle-même. Mais, quoi qu'il en soit, si l'opinion à laquelle nous faisons allu- sion était fondée, l'affaiblissement très-prononcé ou l'abo- lition apparente de la contractilité électrique, survenant quelques jours après l'opération, devra être un fait constant à la suite des sections de nerfs, puisqu'en pareil cas le bout périphérique du nerf perd toujours son excitabilité au bout de cinq ou six jours. Or, nous savons qu'il n'en est pas ainsi. D'un autre côté, il n'est nullement prouvé que les lésions de nerfs, qui produisent la perte hâtive de la con- tractilité électrique, soient toujours assez profondes pour interrompre complètement la continuité des fibres nerveuses et amener la destruction du cylindre de myéline. On pour- rait citer, en effet, un certain nombre de faits tendant à démontrer que la continuité des nerfs persiste, au moins à un certain degré, à la suite de lésions qui cependant déter- minent rapidement, dans les muscles, l'apparition des troubles trophiques les plus prononcés.

C'est ainsi qu'après une lésion traumatique portant sur le trajet d'un nerf, on voit parfois les mouvements persis- ter pendant quelque temps et ne s'affaiblir qu'alors que les lésions trophiques sont survenues dans le muscle (1). Il importe de remarquer, d'ailleurs, que la sensibilité muscu- laire et cutanée se maintient souvent à un degré voisin de l'état normal, dans les cas de lésions d'un nerf mixte, alors même que l'affaiblissement rapide de la contractilité électrique et l'atrophie musculaire consécutive, sont portées très-loin ; c'est un fait que MM. Duchenne (de Boulogne) (2),

(1) Voir l'observation citée par Duchenne (de Boulogne), loc. cit., p. 207.

(2) Dans les paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs mixtes, les troubles fonctionnels portent moins sur la sensibilité des muscles

Charcot, t. 1, éd. h

50 LEUR MODE D'INFLUENCE.

Mitchell, Morehouse et Keen (1) n'ont pas manqué de faire ressortir. Est-il vraisemblable que, dans ces cas, les fibres motrices auront subi des altérations profondes, tandis que les fibres sensitives entremêlées avec elles dans toute l'é- paisseur du nerf auraient seules été épargnées ? Mais voici un argument en quelque sorte plus direct : à la suite de certaines affections de la moelle épinière, telles que l'iié- matomyélie, la myélite aiguë centrale, la paralysie infan- tile, affections dans lesquelles la lésion initiale occupe plus particulièrement la substance grise, il est commun de voir se produire, comme lorsqu'il s'agit de lésions irritatives des nerfs, une diminution ou une abolition totale de la contra c- tilité électrique, dans les muscles des membres frappés de paralysie. Ce symptôme, manifeste déjà quelques jours après le début de la maladie, est suivi bientôt d'une atro- phie plus ou moins prononcée des muscles. Les nerfs mus- culaires ont été plusieurs fois examinés en pareil cas à l'aide du microscope : tantôt, ils offraient les caractères de l'état normal ; d'autres fois, ils présentaient à un certain degré les altérations propres à la dégénération granulo-grais- seuse ; mais alors ces altérations ne se montraient nulle- ment proportionnées, quant à leur .étendue et quant à leur intensité, aux troubles musculaires. Nous reviendrons ulté- rieurement sur ce fait important.

Vous voyez par ce qui précède que, dans mon opinion, l'abolition rapide de l'excitabilité électrique observée à la suite de la lésion d'un nerf, ne saurait être rattachée tout entière à l'altération granulo-graisseuse de la gaine médul- laire et à la perte d'excitabilité des fibres nerveuses qui se-

que sur leur contractilité ; ainsi une luxation de l'épaule ayant occasionné la lésion des nerfs qui animent le bras, l'avant-bras et la main, j'ai vu le malade accuser une sensation musculaire assez notable, alors même que ses mus- cles ne se contractaient pas le moins du monde par l'excitation électrique la plus intense. La sensibilité cutanée est encore moins affectée que la sensi- bilité musculaire, dans ces mêmes lésions nerveuses. [Duchenne (de Boulo- gne), loc. cit., p. 210].

(1) Mitchell, etc., loc. cit., p. 97.

ALTERATIONS DE LA FIBRE CONTRACTILE. 51

raient la conséquence de cette altération. S'il en est ainsi, il devient très-vraisemblable que le phénomène dont il s'agit est, au moins en partie, le résultat d'un changement quel- conque survenu dans la constitution de la substance con- tractile, sous l'influence de l'irritation transmise jusqu'au faisceau musculaire primitif, par la voie des dernières ramifications nerveuses. La rapidité avec laquelle se pro- duirait ce trouble trophique n'est pas un argument à invo- quer contre notre hypothèse. L'expérience démontre, en effet, que sous l'influence de certaines causes, telles, par exemple, que l'interruption brusque du cours du sang arté- riel, la fibre musculaire peut éprouver plus rapidement en- core, — après quelques heures seulement, une modifica- tion fort analogue, sans aucun doute, puisqu'elle se traduit également par l'abolition de la contractilité spécifique du muscle (1).

A en juger par l'enchaînement habituel des phénomènes révélés par l'observation clinique, cette altération de la fibre contractile, manifestée par les modifications de la contrac- tilité électrique, serait le précurseur et comme le premier terme d'une série de lésions plus profondes qui amènent graduellement l'atrophie du muscle et entraînent quelque- fois l'abolition complète et définitive de ses fonctions. Des observations, auxquelles nous avons fait allusion déjà et sur

(l) « J'ai coupé le nerf sciatique d'un côté sur deux lapius et deux cochons dinde. Dix jours après je me suis aperçu que le sciatique coupé ne cau- sait plus de mouvements quand je le galvanisais. Les muscles se contractaient vivement quand j'appliquais sur eux les deux pôles delà pile. Cela reconnu, j'ai lié l'aorte derrière l'origine des rénales, et trois heures après j'ai essayé de nouveau l'application de la pile. Il n'y a eu de contractions dans les muscles de la jambe ni quand j'excitais le nerf, ni quand j'excitais direc- tement les muscles. J'ai lâché alors la ligature ; au bout de très-peu de temps, les muscles sont redevenus irritables. Le nerf sciatique n'a rien re- trouvé de sa propriété perdue. Dans cette expérience, les muscles de la jambe, après avoir complètement perdu leur irritabilité, ne l'ont recouvrée que par la nutrition, puisque ni les centres nerveux ni le nerf sciatique ne pouvaient la leur donner. (Brown-Séquard. Journal de Physiologie, t. II, p. 77, 1859).

52 EXPERIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC.

lesquelles nous reviendrons par la suite, semblent montrer que les lésions dont il s'agit sont, pour une bonne partie, de nature irritative. On pourrait être tenté, d'après cela, suivant les errements de la théorie actuellement en vogue, de considérer ces lésions comme la conséquence plus ou moins directe d'une paralysie des nerfs vaso-moteurs con- comitante de la paralysie des nerfs moteurs musculaires. Parmi les arguments qu'on peut fait valoir contre cette ma- nière de voir, nous nous bornerons à faire ressortir que les signes nécessaires de la paralysie vaso-motrice, la ré- plétion des vaisseaux sanguins et l'élévation de la tempéra- ture locale, ne s'observent que très-exceptionnellement chez les sujets qui, à la suite de la lésion d'un nerf, présen- tent une paralysie avec diminution rapide de la contractilité électrique.

Des faits assez nombreux montrent, au contraire, qu'en pareil cas, la peau est, le plus souvent, pâle, anémiée, en même temps que, dès l'origine, la température locale s'a- baisse manifestement (1).

IL

Telle était, Messieurs, la solution de la question en litige que je m'étais donnée, lorsque vinrent à ma connaissance des recherches nouvelles faites en Allemagne ; les résultats de ces recherches de nombreuses expériences, instituées chez les animaux, sont mises en parallèle avec les faits pa- thologiques, me parurent, au premier abord, devoir ruiner tout l'édifice. En effet, à en juger d'après les conclusions formulées par les auteurs, l'opposition entre les lésions pas- sives et les lésions irritatives des nerfs, au point de vue de

(l) Duchenne (de Boulogne), loc cit., p. 234. Mitchell, loc. cit., p. 134. Folet. Etude sur la température des parties paralysées. Paris, 18G7, p. 7.

EXPÉRIENCES DE MM. ERB. ZIEMSSE.V ETC. 53

leurs effets sur la contractilité et sur la nutrition des mus- cles, ne serait rien moins que fondée. Je commencerai par déclarer que les expériences auxquelles je fais allusion, instituées par M. Erb (1868), et dans le même temps, bien que d'une manière indépendante, par MM. Ziemssen et 0. Weiss, paraissent avoir été conduites avec le plus grand soin. Nous aurons à voir si elles ont bien la signification qui leur a été attribuée.

Des lésions de nerfs, variées écrasement, ligature, section dans un très-petit nombre de cas étant produites sur des lapins, il s'agissait d'observer quotidiennement les modifications de la contractilité électrique qui apparaissent du côté des nerfs et du coté des muscles, sous l'influence des courants continus et de la faradisation, interrogés tour à tour. L'électrisation était pratiquée tantôt à tra- vers la peau, comme on le fait en médecine, tantôt di- rectement, ainsi qu'on procède en physiologie. M. Erb s'était, en outre, donné pour tâche de suivre, autant que possible, jour par jour, les altérations histologiques qui correspondent aux changements de l'excitabilité électrique.

Examinons en premier lieu les phénomènes observés dans ces expériences sur les nerfs lésés. Supposons qu'on ait blessé, en l'écrasant à l'aide d'une pince, le nerf sciati- que d'un lapin. La lésion peut être très-prononcée ou lé- gère. Est-elle très-prononcée, on constate une perte pres- que immédiate de l'excitation électrique, que l'on ait recours à la faradisation ou au galvanisme. Lors de la régénéra- tion du nerf, le retour de l'excitabilité est lent pour le bout central ; il est rapide, au contraire, pour le bout périphéri- que. La lésion est-elle légère, l'excitabilité électrique revient promptement vers le bout central, jamais elle n'a cessé d'exister d'une façon complète sur le bout périphérique.

Vous voyez que ces premiers résultats ne s'éloignent pas sensiblement de ceux obtenus dans les expériences ancien- nes, puisqu'il était également établi par ces expériences que le nerf coupé perd son excitabilité dès les premiers jours.

54 EXPÉRIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC.

Etudions maintenant les phénomènes qui, dans les nou- velles expériences, sont mis en évidence par l'exploration électrique des muscles. Ici, Messieurs, les résultats s'éloi- gnent notablement de ceux fournis par les expériences an- ciennes et se rapprochent au contraire beaucoup des faits pathologiques.

Ainsi, l'exploration faradique fait découvrir, dès les pre- miers jours, une diminution, et, quelques jours plus tard cinq à quatorze jours dans les cas intenses la perte de la contractilité.

Ce n'est pas tout. L'exploration galvanique dénote, elle aussi, dans les premiers jours, un affaiblissement des con- tractions musculaires ; mais, à partir delà fin de la seconde semaine, à cet affaiblissement succède une exaltation qui persiste pendant tout le temps que se maintient la dépres- sion faradique, et qui disparaît à son tour quand la faradi- sation redevient puissante.

Les lésions musculaires qui correspondent à ces modifi- cations de la contractilité électrique ont été étudiées avec grand soin par M. Erb ; elles méritent à beaucoup d'égards de porter la dénomination de cirrhose des muscles proposée par M. Mantegazza (1).. Elles rappellent absolument celles qu'a signalées M. Erb dans les cas de paralysie faciale qu'il a observés chez l'homme.

C'est dans le tissu conjonctif interstitiel que se montrent les premiers changements ; dès la première semaine, il s'y accumule de nombreux éléments cellulaires, arrondis, rap- pelant le tissu de granulation, lesquels, plus tard, prennent une forme allongée, disparaissent et font place à du tissu conjonctif ondulé. Les faisceaux musculaires ne commen- cent à présenter d'altérations que vers la deuxième se- maine. A cette époque, on peut constater déjà que le dia- mètre de ces faisceaux s'est amoindri ; cette atrophie va

(l) Voir la note, p. 'il.

EXPÉRIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC. 55

rapidement en progressant. Cependant, la striation trans- versale persiste et jamais les fibres n'offrent de traces des altérations de la dégénération granulo-graisseuse. Par contre, de très-bonne heure, les noyaux du sarcolemme se multiplient et se groupent sous forme de petits agré- gats, en même temps que la substance contractile offre à divers degrés les modifications connues sous le nom de dé- génération cireuse1.

Tels sont les phénomènes signalés à la suite de lésions de nerf, qui, suivant nos auteurs, équivaudraient à des sections complètes. Eh bien! je n'hésite pas à le dire, cette assimilation est loin d'être à l'abri de la critique. Les ré- sultats obtenus par M. Erb et par M. Ziemssen sont relatifs à des conditions comparables, sans aucun doute, à celle que la pathologie nous offre, mais nullement à celles que l'on déterminait dans les anciennes expériences. Rappelons, en effet, comment ces observateurs ont procédé dans la grande majorité des cas. Presque toujours, ils appliquaient sur le nerf une ligature plus ou moins serrée, ou encore ils pro- duisaient, à l'aide d'une pince, un écrasement plus ou moins prononcé du nerf. Or, ne sont-ce pas des circons- tances suffisantes déjà pour faire présumer que l'irritation des filets nerveux a pu intervenir ici comme elle intervient, suivant nous, dans les cas pathologiques ?

Mais il ne s'agit pas d'une simple présomption : l'exis- tence d'une inflammation occupant non seulement le voi- sinage des points soumis à l'écrasement, mais bien toute la longueur de la partie périphérique du neri' lésé, est mise hors de doute par les descriptions même du docteur Erb. C'est le névrilemme surtout qui porte les caractères du pro- cessus inflammatoire ; dès la première semaine, des élé- ments cellulaires arrondis, présentant un seul noyau, s'y montrent accumulés en grand nombre. A une période plus avancée, une couche plus ou moins épaisse de tissu fibreux se trouve interposée aux libres nerveuses qui ont subi les. diverses phases de la dégénération granulo-graisseuse, et.

56 ÉCRASEMENT ET LIGATURE DES NERFS.

en conséquence, le cordon nerveux a acquis une consis- tance qui lui permet de résister, bien plus qu'à l'état nor- mal, à la dilacération.

Il nous paraît rationnel d'admettre que, dans ces expé- riences, comme dans les cas relatifs à l'homme, les lésions irritatives dont les nerfs sont le siège retentissent jusque sur les muscles. A la vérité, il peut paraître difficile de concevoir qu'un nerf ayant subi les altérations de la dégénération granulo-graisseuse et# privé de motricité, possède encore un certain degré de vitalité ; qu'il soit ca- pable, sous l'influence d'une lésion irrita tive, de réagir sur la fibre musculaire et d'y déterminer des troubles trophiques. Il y a lieu de faire remarquer à ce propos que l'irritation du nerf date vraisemblablement du moment même il a été soumis à la ligature ou à l'écrasement. Il est certain, d'un autre côté, que la vitalité est loin d'être définitivement éteinte dans les nerfs complètement séparés du centre ner- veux, puisqu'ils peuvent se régénérer sans qu'il y ait réu- nion du bout périphérique au bout central (1). D'ailleurs c'est par hypothèse seulement et sans preuve directe qu'on admet que les tubes nerveux, dépouillés du cylindre de myéline et réduits au. cylindre d'axe, sont dénués de toute espèce de propriété vitale.

Nous ne devons pas oublier, toutefois, que la ligature et l'écrasement du nerf ne sont pas les seuls moyens qui aient été mis en œuvre dans les expériences d'Erb et de Ziems- sen. Ces auteurs ont aussi pratiqué des sections et des exci- sions de nerf, à la vérité dans un nombre de cas relative- ment très-restreint. Us admettent que les résultats sont toujours identiques, qu'il s'agisse de la section complète ou de l'écrasement. Mais si l'on remonte jusqu'aux détails des observations, il n'est pas difficile de reconnaître que cette conclusion ne saurait être admise sans réserve. Nous trou-

(l) Vulpian. Système nerveux, loc. cit., p. 269

SECTION ET EXCISION DES NERFS. oT

vons en particulier dans le travail de Ziemssen un chapitre qui, cet égard, est tout-à-fait significatif. Il s'y agit de cas dans lesquels on a pratiqué l'excision du nerf sciatique dans l'étendue de quelques millimètres. Or, les résultats obtenus à la suite d'une telle lésion sont bien différents de ceux que cet auteur et M. Erb ont observés à la suite de la ligature et de l'écrasement du nerf ; ils se rapprochent, à beaucoup d'égards, des faits signalés dans les expé- riences des physiologistes : ainsi, en premier lieu, la con- tractilité électrique, à la suite de l'excision, diminue d'une manière progressive, mais très-lentement ; ce n'est qu'au bout de plusieurs mois qu'elle paraît abolie, et non plus du cinquième au quatorzième jour, comme lorsqu'il s'agissait de l'écrasement. En second lieu, on ne rencontre plus ici cette opposition entre les effets de la faradisation et ceux de la galvanisation qu'on remarquait dans le cas d'écra- sement et qui existe, vous ne l'avez pas oublié, dans la plupart des faits pathologiques observés chez l'homme. Les deux modes d'exploration produisent, au contraire, des effets exactement parallèles : la contractilité faradique et la contractilité galvanique s'affaiblissent ensemble et en- semble se reproduisent avec leur intensité première, lors de la restauration du nerf qui, à la vérité, se fait longtemps attendre (1).

(l) Comparez dans le mémoire de Ziemssen et Weiss (loc. cit., p. 589) l'observation II, fig. 3, qui est relative à un cas de ligature du nerf tibial antérieur chez le lapin, avec l'observation II (p. 593) il s'agit de l'exci- sion du nerf sciatique également chez un lapin. Dans le premier cas, la con- tractilité faradique paraît éteinte, dès le 12e jour après l'opération ; par con- tre, la contractilité galvanique s'est exaltée dès le second jour,et elle se main- tient à un niveau très-élevé jusqu'au moment le taux de la contractilité faradique se rapproche de l'état normal (44e jour). Dans le second cas, au contraire, la contractilité faradique et la contractilité galvanique s'affaiblis- sent parallèlement d'une manière progressive, mais très-lentement. Elles cessent d'être manifestes à peu près simultanément, seulement vers le milieu du 3e mois, et reparaissent ensemble quatre mois et demi environ après leur disparition. Voici d'ailleurs dans quels termes s'expriment MM. Ziems- sen et O. Weiss à propos des effets de l'excision du nerf sciatique : « Chez

58 SECTION ET EXCISION DES NERFS.

Si je ne me trompe, on peut conclure de cet exposé que, quand il s'agit de la section complète ou de l'excision des nerfs, les observations récentes concordent, pour les points essentiels, avec les observations anciennes. D'un autre côté, les résultats obtenus par MM. Erb et Ziemssen, chez les animaux à la suite de l'écrasement ou de la ligature des troncs nerveux, sont comparables aux accidents qui se produisent chez l'homme, en conséquence des lésions irri- tatives des nerfs mixtes ou purement moteurs.

Or, s'il en est ainsi, les dissidences que nous signalions au début de cette étude, se trouvent aplanies, et par suite, il y a lieu de reconnaître, à propos des affections des mus- cles, la distinction fondamentale entre les effets de f ab- sence d'action et ceux de V action morbide du système nerveux, que nous avons fait valoir déjà, à propos des affections cutanées et articulaires (1).

les animaux » « auxquels cette opération avait été pratiquée » « l'excitabilité galvanique s'affaiblissait progressivement, et cet affaiblissement n'était pas précédé par un stade d'accroissement. Il marchait lentement, du même pas que l'affaiblissement de l'excitabilité farado-musculaire. L'excitabilité gal- vanique disparaissait dans la seconde moitié du 3e mois pour reparaître vers le 7e ou le 8e mois. » [Loc. cit., p. 592 et 593.)

(l) Des expériences récentes de M. Vulpian [Archives de physiologie, t. IV, 1871-1872, p. 757, 758), confirmatives sur presque tous les points de celles de MM. Erb et Ziemssen, établissent que les effets de la section des nerfs pé- riphériques sur les propriétés physiologiques et la structure des muscles, ne diffèrent pas essentiellement de ceux que détermine l'application des divers moyens d'irritation écrasement local, ligature, cautérisation sur ces mêmes nerfs. D'un autre côté, les observations histologiques de MM. Neu- mann [Arch. f. Beilhmde, Leipsig, 1868), Ranvier (Comptes-rendus de V Académie des sciences, 30 décembre 1872), Eichorst (Virchotv's Archiv, 1874, 12 décembre), ont mis hors de doute que, dans l'extrémité périphérique du nerf sectionné, il se produit constamment des altérations (multiplication des cellules du segment inter-annulaire) qui révèlent un processus irritatif. L'opposition entre les effets de la section et ceux de l'irritation des nerfs ne saurait plus être, d'après cela, maintenue dans les termes rigoureux elle a été présentée dans cette leçon. (Note de la 2e édition.)

LESIONS DE LA MOELLE EPINIERE.

TROUBLES TROPÏÏIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE.

Les lésions irritatives des centres nerveux, comme celles des nerfs, ont le pouvoir de produire à distance des trou- bles trophiques dans diverses parties du corps. Dans l'ex- posé de ces altérations consécutives que nous allons vous présenter, nous retrouverons, à quelques nuances prés, toute la série des affections que nous avons vues se mani- fester à la suite des lésions des nerfs et dont l'histoire, déjà connue, facilitera singulièrement la tâche qu'il nous reste à accomplir.

D'une façon générale, Messieurs, on peut dire que la peau, les muscles, les articulations, les os, les viscères, enfin, peuvent devenir le siège de troubles trophiques va- riés, consécutivement aux lésions de la moelle épinière et du cerveau.

Nous traiterons en premier lieu des affections muscu- laires, puisque l'étude que nous venons de terminer nous a mis sur la voie. Les considérations que nous allons déve- lopper relativement à ces affections, concernent seulement les lésions de la moelle et du bulbe, car il est au moins fort douteux que les lésions du cerveau proprement dit aient jamais pour résultat, de produire directement l'altération du tissu musculaire. C'est même là, nous le reconnaîtrons en temps et lieu, un fait de la plus haute importance.

Lésions musculaires consécutives aux affections de la moelle épinière. Parmi les lésions spinales de nature irritative, il en est qui déterminent très-rapidement tous les modes d'altération musculaire, fonctionnels ou organiques, que nous avons appris à connaître, comme conséquence

60 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.

des lésions des nerfs: il en est d'autres, au contraire, dans lesquelles la contractilité électrique et l'état trophique des muscles, se conservent en parfaite intégrité pendant un laps de temps relativement considérable, des mois, par exemple, ou même parfois des années. Le muscle, dans ce dernier cas, ne s'altère qu'à la longue, sous l'influence de l'inertie fonctionnelle à laquelle les membres, paralysés du mouvement, se trouvent condamnés. A ce point de vue, il y a lieu d'établir, parmi les maladies spinales irritatives, deux groupes bien distincts, que nous passerons successi- vement en revue.

A. Dans le premier groupe, nous rangeons celles des lé- sions irritatives de la moelle qui, dans la règle, ne modi- fient pas directement la nutrition des muscles. Elles ont un caractère commun : toutes tendent à se limiter aux fais- ceaux de substance blanche, et si, parfois, l'axe gris est en- vahi, elles respectent la région des cornes antérieures, ou épargnent tout au moins les grandes cellules nerveuses multipolaires qui siègent dans cette région. Telles sont les diverses formes de la sclérose fasciculée : que celle-ci soit protopathique ou au contraire consécutive à une lésion en foyer du cerveau ou de la moelle épinière ; qu'elle occupe exclusivement soit les faisceaux postérieurs, soit les fais- ceaux latéraux, ou, simultanément, ces deux ordres de faisceaux, tant que la condition expresse qui vient d'être signalée, à savoir l'intégrité des grandes cellules nerveu- ses,se trouve remplie, les lésions dont il s'agit peuvent atteindre leur plus haut degré de développement, envahir, par exemple, les faisceaux blancs dans toute leur épais- seur et dans toute leur étendue en hauteur , sans que les muscles, animés par les nerfs issus des points lésés de la moelle, souffrent directement clans leur nutrition (1).

(1) Charcot et Jofïïoy. Deux cas d'atrophie musculaire progressive avec lésion de la substance grise et des faisceaux antéro-latéraux de la moelle épi- nière, in Archives de Physiologie, t. II, p. 635.

MYOPATHIES CONSECUTIVES.

61

Le tableau changerait nécessairement si, dépassant les limites qui lui sont habituellement assignées, le processus irritatif venait à s'étendre des faisceaux blancs aux cornes antérieures de la substance grise ; alors on pourrait voir survenir, en conséquence de la participation des cellules motrices, une atrophie plus ou moins rapide et plus ou moins prononcée des muscles. C'est, ainsi que je l'ai fait voir (1), d'après ce mécanisme , que les symptômes de la paraljrsie générale spinale ou de l'amyotrophie progressive se surajoutent quelquefois aux symptômes classiques de la sclérose des cordons latéraux, etc. Tout récemment encore nous avons observé plusieurs faits de ce genre, il nous a été donné de reconnaître nécroscopiquement, de la manière la plus nette, l'altération des cellules nerveuses à laquelle doit être rattachée, suivant moi, la lésion trophique des muscles (2) .

(1) Charcot et Joffroy, loc. cit., p. 354.

(2) Voir, entre autres, le fait récemment publié par un de mes élèves, M. Pierret. Sur les altérations de la substance grise de la moelle épinière

Fig. 1. Cette figure est relative au cas publié par M. Pierret et résumé ci-après. Elle représente une coupe transversale de la moelle épinière fiite dans le renfle- ment lombaire. A, Racines postérieures. B, faisceaux radiculaires internes traversant l'aire des cordons postérieurs. On voit la sclérose limitée dans les cordons posté-

62 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.

La sclérose en plaques disséminées (1) les scléroses diffuses, reconnaissent la même règle. On peut en dire autant des myélites partielles primitives ou de celles que détermine la compression exercée par une tumeur, par le mal vertébral de Pott, etc. Ces diverses affections n'ont

rieurs au parcours de ces faisceaux. A droite, le processus phlegmasique s'est étendu ensuivant le trajet des faisceaux radiculaires, jusqu'à la corne antérieure droite, C. Cette corne a subi, dans tous ses diamètres, une réduction très-mani- feste ; de plus, le groupe externe des cellules motrices a complètement disparu et l'on voit à sa place un tissu dense, opaque, d'apparence rlbroïde et parsemé de nombreux myélocytes.

dans Vataxie locomotrice considérées dans leurs rapports avec l'atrophie mus- culaire qui complique quelquefois cette affection. In Archives de Physiolo- gie, etc., t. III, p. 599. Dans ce cas, le travail phlegmasique s'était étendu des cordons postérieurs à la corne antérieure de substance grise du côté droit en suivant la voie des faisceaux radiculaires internes du côté correspondant. L'atrophie musculaire consécutive était exactement limitée aux membres droits. (Voir la Fig. 1.) Voici maintenant l'exposé sommaire d'un cas qui montre bien par quel mécanisme la sclérose fasciculée consécutive unilatérale peut, en s'étendant à la substance grise, déterminer l'atrophie musculaire.

Une femme, âgée d'environ 70 ans, avait été frappée d'hémiplégie gauche consécutivement à la formation d'un foyer sanguin dans l'hémisphère céré- bral droit. Les membres du côté paralysé, qui, de très-bonne heure, avaient été pris de contracture, commencèrent à diminuer de volume, deux mois à peine après l'attaque. L'atrophie musculaire était uniformément répandue sur toutes les parties des membres paralysés ; elle s'accompagnait d'une di- minution très-notable de la contractilité électrique et progressa rapidement. Dans le temps même l'atrophie se prononçait, la peau des membres du côté gauche présenta, sur tous les points soumis à la plus légère pression, des bulles qui bientôt firent place à des eschares. A l'autopsie, nous re- connûmes, sur des coupes durcies de la moelle, que la sclérose fasciculée descendante du cordon latéral gauche, s'était propagée à la corne antérieure de la substance grise du côté correspondant et y avait déterminé l'atrophie d'un certain nombre de cellules motrices.

(l) Chez une femme atteinte de sclérose multiloculaire cérébro-spinale, que nous avons observée il y a quelques années, l'une des plaques sclé- reuses avait envahi, vers le milieu de la région cervicale, la presque totalité de la substance grise de la moelle, dans une certaine étendue en hauteur, et plus particulièrement, les cornes antérieures. Les cellules nerveuses pré- sentaient à ce niveau, pour la plupart, des lésions atrophiques profondes ; bon nombre d'entre elles avaient même disparu sans laisser de traces. Chez cette femme, les mains avaient offert la déformation connue sous le nom de griffe; les muscles des éminences thénar et hypothénar, les interosseux étaient atrophiés : les avant-bras présentaient également une atrophie très- marquée, limitée à certains groupes de muscles.

MYOPATHIES CONSÉCUTIVES. 63

pas d'influence directe sur la nutrition des muscles tant qu'elles n'intéressent pas le système des cellules nerveuses motrices. On ne conçoit guère d'exception que pour le cas, d'ailleurs assez rare, la lésion, bien que circonscrite aux cordons blancs, occuperait la partie de ces cordons que tra- versent les faisceaux de tubes nerveux d'où émanent les racines antérieures. Pour peu que ces faisceaux prissent part à l'altération, il se produirait là, nécessairement, l'équivalent d'une lésion affectant les nerfs périphéri- ques (1).

B. Le second groupe comprendra les affections de la moelle épinière qui ont pour conséquence, à peu près iné- vitable, de déterminer des troubles plus ou moins profonds dans la nutrition des muscles. Ce groupe comporte deux sous-divisions :

La première est relative aux lésions en foyer ou dif- fuses, à marche aiguë ou subaiguë, qui intéressent, dans une grande étendue en hauteur, à la fois la substance blanche et la substance grise, mais prédominant cependant,

(l) A propos des myélites partielles, soit protopathiques, soit déterminées par le voisinage d'une tumeur, il y a lieu de présenter la remarque suivante: Elles siègent le plus communément sur un point de la région dorsale de la moelle épinière qu'elles occupent dans une très-petite étendue en hauteur. Il résulte de cette disposition que si, d'une façon primitive ou par suite de l'extension concentrique du processus morbide, les cornes antérieures de la substance grise se trouvent intéressées, les lésions musculaires qui sont la conséquence de cette participation de l'axe gris, resteront limitées à certaines régions très-circonscrites du thorax ou de l'abdomen même et pourront ne se révéler pendant la vie, par aucun symptôme appréciable. Toujours la nutri- tion des muscles des membres est, à moins de complication, parfaitement indemne lorsque la myélite partielle affecte le siège qui vient d'être indiqué. Il en serait tout autrement dans le cas un foyer de myélite, même très- circonscrit, occuperait certaines parties du renflement cervical ou du renfle- ment lombaire. Les lésions musculaires qui pourraient survenir consécuti- vement à l'envahissement des cornes antérieures de la substance grise, sié- geraient alors dans les membres et se traduiraient par des troubles fonction- nels et par des modifications dans la forme des parties qui ne resteraient pas longtemps inaperçues.^

64 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.

en général, dans celle-ci. Elles sont habituellement suivies de modifications profondes de la contra ctili électrique, et d'une atrophie à développement rapide de la fibre muscu- laire. — Je citerai, en premier lieu, la myélite aiguë cen- trale. Lorsqu'elle est quelque peu généralisée et qu'elle oc- cupe, par exemple, une bonne partie du renflement dorso-lom- baire; la diminution hâtive de la contractilité électrique des muscles des membres inférieurs est un symptôme qui ne lui fait peut-être jamais complètement défaut. M. Mannkopf a vu, dans un cas de ce genre, la contractilité électrique, déjà notablement modifiée, sept jours après le début des premiers accidents (1). Quand les malades ne sont pas en- levés trop rapidement, on peut suivre le. développement des phénomènes corrélatifs : l'atrophie des masses muscu- laires s'accuse bientôt ; les lésions histologiques des fais- ceaux primitifs deviennent prompte ment appréciables. D'après MM. Mannkopf (2) et Engelken (3), ces lésions sont remarquables surtout par la prolifération des noyaux du sarcolemme. En somme, elles portent la marque d'un pro- cessus irritatif. La dégénération graisseuse des faisceaux primitifs est là, encore, un fait exceptionnel. Quant aux nerfs qui se rendent aux muscles affectés, examinés plu- sieurs fois par M. Mannkopf, tantôt ils ont été trouvés sains, tantôt ils ne présentaient que des altérations relativement légères et nullement en rapport d'intensité avec les lésions des muscles (4).

L'apoplexie spinale [hêmatomyèlie) doit être mentionnée en second lieu. Il s'agit d'une affection qui, au point de vue de la pathogénie et de l'anatomie pathologique, diffère essentiellement de l'hémorrhagie intra-encéphalique vul- gaire ; car, d'ordinaire, dansl'hématomyélie, l'épanchement

(1) Mannkopf. Amtlicher Bericht iïber die Versammlung Deustcher Na- turforscher und Aerzte zu Hannover, p. 251. Hannover, 1866.

(2) Loc. cit.

(3) H. Engelken. Beitrâge zurPatholog. der aruten Myelitis. Zurich, 1867.

(4) Voir à ce sujet ce qui a été dit dans la présente leçon, p. 41.

LESIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. Go

s'opère au sein de tissus déjà préalablement modifies par un travail inflammatoire. Le sang se répand surtout dans l'axe gris, qu'il envahit assez souvent dans la plus grande partie de sa longueur. Lorsqu'il en est ainsi, la diminution ou même l'abolition de la contractilité électrique, survenant hâtivement dans les muscles des membres frappés de para- lysie, est un symptôme qui parait constant. Il a été constaté quatorze jours après le développement des premiers acci- dents, dans un cas de Levier (1); le jour même de l'attaque dans un cas de Colin (?) ; dès le neuvième jour dans un fait rapporté par Duriau (2). L'apoplexie spinale est une affec- tion en général rapidement mortelle ; elle n'a pas encore fourni l'occasion de constater la lésion histologique des faisceaux primitifs et l'atrophie des masses musculaires qui ne manqueraient sans doute pas de se produire, si la vie se prolongeait.

C'est vraisemblablement, Messieurs, en produisant une irritation de la moelle épinière qui, partielle d'abord, tend bientôt à se généraliser, que les fractures et les luxations de la colonne vertébrale peuvent avoir pour effet de dé- terminer, ainsi que l'a observé M. Duchenne (de Boulogne), une prompte diminution de la contractilité électrique dans les muscles des membres paralysés (3).

Les affections qui composent la seconde catégorie re- lèvent de lésions plus délicates ; ces lésions, en effet, sont limitées d'une façon pour ainsi dire systématique à la subs- tance grise des cornes antérieures dont elles envahissent

(1) Levier. Beitrâge zur Pathologie der RûckenmarJisapoplexie. Inau- guraldisscrtation. Bern, 1864.

(2) Duriau Union médicale, t. I, 1859, p. 308.

(3) Voir Duchenne (de Boulogne). Obs. p. 246, loc. cit. : fracture de la colonne vertébrale vers le milieu de la région dorsale. Moelle épinière ramollie dans l'étendue de plusieurs pouces, au niveau de la région dorso- lombaire. Affaiblissement de la contractilité électrique dès le sixième jour après l'accident.

Charcot, t. i, 3e éd. 5

66

LESIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES.

rarement toute retendue ; on les voit se localiser, souvent assez exactement, dans l'espace ovalaire très-circonscrit qu'occupe un groupe ou agrégat de cellules motrices [Fig. 2).

I

F^. 2. Coupe de la moelle faite à la région lombaire. A, corne antérieure gau- che, saine. a, noyau ganglionnaire sain. B, corne antérieure droite, malade. b, noyau ganglionnaire médian dont les cellules sont détruites et qui est représenté par un petit foyer de sclérose.

La névroglie, dans les points altérés, devient d'habitude plus opaque, plus dense, parsemée de nombreux myélocy tes et porte, par conséquent, les marques d'un travail inflam- matoire. En même temps, les cellules nerveuses présentent divers degrés et divers modes de dégénération atrophique. Mais quels ont été les éléments affectés en premier lieu? Tout porte à croire que ce sont les cellules nerveuses. On comprendrait difficilement, en effet, que l'altération pût se montrer étroitement localisée dans le voisinage des cellules si elle avait son point de départ dans la névroglie. Il est des

LÉSIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. 67

cas d'ailleurs, l'atrophie d'un certain nombre, voire même d'un groupe tout entier, de cellules nerveuses, est la seule altération que l'examen histologique permette de constater, la trame conjonctive ayant, dans ces points-là, conservé la transparence, et, à peu de chose près, tous les caractères de la structure normale. Il est, de plus, d'autres cas non moins significatifs les lésions de la névroglie se montrent beaucoup plus accusées vers les parties centrales d'un agrégat de cellules nerveuses, que dans les parties pé- riphériques, beaucoup plus accentuées également au voisi- nage immédiat des cellules que dans les intervalles qui les séparent, de telle sorte que ces dernières paraissent comme autant de centres ou foj'ers, d'où le processus inflamma- toire aurait rayonné, à une certaine distance, dans toutes les directions. On ne saurait admettre, d'un autre côté, que l'irritation se soit originellement développée sur les parties périphériques et qu'elle ait remonté jusqu'aux parties cen- trales par la voie des racines antérieures des nerfs, car ces dernières, en général, ne présentent, au niveau des points altérés de la moelle épinière, que des lésions relativement minimes et nullement proportionnées, quant à l'intensité, aux lésions de la substance grise. Il parait évident, d'après tout ce qui précède, que les cellules nerveuses motrices sont bien réellement le siège primitif du mal. Le plus souvent, le travail d'irritation gagne ensuite, secondairement, la né- vroglie et s'étend de proche en proche aux diverses régions des cornes antérieures; mais cela n'est nullement néces- saire ; à plus forte raison, faut-il considérer comme un fait consécutif et purement accessoire, l'extension, observée dans certains cas, du processus morbide aux faisceaux antéro- latéraux, dans le voisinage immédiat des cornes antérieures ■de la substance grise (1).

(l) Les vues qui viennent d'être émises relativement au rôle de l'altération des cellules nerveuses, dites motrices, dans la pathogénie de l'atrophie mus- culaire progressive, de la paralysie infantile, de la myélite aiguë centrale,

68 PARALYSIE INFANTILE SPINALE.

La paralysie infantile spinale est, quant à présent, le type le plus parfait des affections qui forment cette caté- gorie. Les nombreuses recherches dont les lésions spinales auxquelles elles se rattachent ont été l'objet, dans ces der- niers temps, en France, concordent toutes à signaler comme un fait essentiel, l'altération profonde d'un grand nombre de cellules motrices, dans les régions de la moelle d'où émanent les nerfs qui se rendent aux muscles para- lysés (1). Dans le voisinage des cellules atrophiées, le ré- seau conjonctif présente, à peu près toujours, les traces manifestes d'un processus inflammatoire. D'après l'ensemble des phénomènes, on est conduit à admettre, comme une hypothèse très-vraisemblable, que, dans la paralysie infan- tile spinale, un travail d'irritation suraiguë s'empare tout à coup d'un grand nombre de cellules nerveuses et leur fait perdre subitement leurs fonctions motrices. Quelques cellules, légèrement atteintes, récupéreront quelque jour leurs fonctions et cette phase répond à l'amendement des symptômes qui se produit toujours à une certaine époque de la maladie, mais d'autres ont été plus gravement com- promises et l'irritation dont elles étaient le siège s'est trans- mise par la voie des nerfs jusqu'aux muscles paralysés qui, en conséquence, ont subi des lésions trophiques plus ou

et en général de toutes les amyotrophies de cause spinale, ont été exposées dans une leçon que j'ai faite à La Salpétrière, en juin 1868. Comparez : Hayem. Archiv. de Physiologie, 1869, p, 263. Charcot et Joffroy, id., p. 756. Duchenne (de Boulogne) et Joffroy, id., 1870. Ces vues ont été utilisées dans l'ouvrage récent de M. Hammond : A. Treatise on Diseases of the nervous System. Sect. IV. Diseases of Nerve Cells., p. 683. New- York, 1871.

(l) Sur l'atrophie des cellules nerveuses motrices, dans la paralysie in- fantile, consultez : Prévost, in Comptes rendtts de la Société de Biologie, 1866, p. 215. Charcot et Joffroy. Cas de paralysie infantile spinale, avec lésions des cornes antérieures de la substance grise de la moelle épinière, in Archiv. de Physiolog., p. 135, 1870, pi. V et VI. Parrot et Joffroy, id., p. 309. Vulpian, id., p. 316. H. Roger et Daraaschino. Recherches anatomiques sur la paralysie spinale de l'enfance. [Gaz. médicale, n°* 41, 43 et suiv., 1871). (Voir Fig. 2).

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE. 69

moins profondes (1). Quoi qu'il en soit, on sait que la di- minution ou la perte même de la contractilité faradique peut être constatée, sur certains muscles, cinq ou six jours à peine après la brusque invasion des premiers symptômes. L'émaciation des masses musculaires marche d'ailleurs avec rapidité et devient bientôt manifeste. L'atrophie simple des faisceaux primitifs avec conservation de la striation en travers, et, sur quelques faisceaux isolés, les marques d'une prolifération plus ou moins active des noyaux du sarcolemme, telles sont les altérations que l'é- tude histologique fait reconnaître dans les muscles lésés. La surcharge graisseuse qui s'observe quelquefois, dans les cas très-anciens, parait être un phénomène purement acci- dentel (2).

L'atropJlie musculaire progressive offre à étudier l'atro- phie irritative des cellules motrices dons son mode chro- nique (3). Il ne s'agit plus ici d'un processus d'irritation suraiguë envahissant les cellules nerveuses tout à coup et en grand nombre : celles-ci sont affectées successivement, une à une, d'une façon progressive; bon nombre d'entre elles sont épargnées, même dans les régions le plus pro- fondément atteintes, jusque vers les périodes ultimes de la maladie. Le développement des lésions musculaires répond à ce mode d'évolution des lésions spinales. Ainsi, il est rare

(1) Voir Charcot et Joffroy, loc. cit.

(2) Charcot et Joffroy, loc. cit. Vulpian, loc. cit.

(3) Voir sur l'atrophie des cellules motrices dans l'atrophie musculaire progressive •. Luys, Société de Biologie, 1860. Duménil (de Rouen), Atrophie musculaire graisseuse progressive, histoire, critique. Rouen, 1867. Nouveaux faits relatifs à la pathogénie de l'atrophie musculaire progressive, in Gazette hebdom., Paris, 1867. L. Clarke. On a case ofmuscular Atro- phg, etc. British and foreign tnedico-Chirurgical Bevietv, July 1872. A case of muscular Atrophg, etc., in Beale's Archiv., t. IV, 1867. On a case ofmuscular Atrophg, in Medico-chir. Trans., t. IV, 1867. 0. Schup- pel. Ueber Hgdromyelus, in Archiv der Heilkunde. Leipzig, 186j, p. 289. Hayem, in Archiv. de Physiologie, 1869, p. 263, pi. 7. Charcot et Joffroy, in Archiv. de Physiologie, 1869, p. 355.

iO PARALYSIE GENERALE SPINALE.

que les troubles trophiques portent simultanément sur tous les faisceaux primitifs d'un muscle ; il en résulte que celui- ci pourra répondre tant bien que mal aux ordres de la vo- lonté et se contracter encore sous l'influence des excitations électriques, alors que son volume sera déjà très-notable- ment réduit (1).

Il existe d'ailleurs au moins deux formes bien distinctes de l'amyotrophie progressive liée à une lésion irritative des cellules motrices. L'une, protopathique, relève exclu- sivement de la lésion en question et celle-ci, développée primitivement en conséquence d'une disposition originelle ou acquise, tend fatalement à se généraliser. Dans l'autre forme, sur laquelle nous appelions votre attention, il n'y a qu'un seul instant, la cellule nerveuse n'est, au contraire, affectée que secondairement, consécutivement à une lésion des faisceaux blancs, par exemple, et pour ainsi dire d'une manière accidentelle. L'amyotrophie, à marche progressive dans ce second cas, peut être dite symptomatique ; elle a moins de tendance à se généraliser et son pronostic est cer- tainement moins sombre (2).

Relativement à la paralysie spinale de V adulte et à la paralysie générale spinale (Duchenne, de Boulogne), l'a- natomie pathologique n'a pas encore prononcé d'une ma- nière définitive. Mais, à en juger par les symptômes, il est au moins fort probable que ces affections se rattachent, elles aussi, à une lésion des cellules nerveuses motrices. La paralysie spinale de l'adulte rappelle celle de l'enfance par l'invasion presque soudaine de la paralysie motrice, par la tendance à la rétrogression que celle-ci présente à un moment donné, par la diminution ou l'abolition de la

(1) Charcot. Leçons faites à la Salpétrière en 1870. Voir à ce sujet : Hallopeau, in Archiv. de médecine , septembre 1871, pp. 277, 305.

(2) Sur les deux formes de l'amyotrophie progressive de cause spinale : voir Charcot et Joffroy, in Archives de Physiologie, 1869, pp. 756, 757. Duchenne (de Boulogne) et Joffroy, in Archivesde Physiologie, 1870, p.49J>.

LÉSIONS DU BULBE RACHIDIEN. 71

contracjtilité faradique qui se manifeste hâtivement dans un certain nombre de muscles paralysés et, enfin, par l'atrophie rapide que ces mêmes muscles subissent, cons- tamment, à un degré pins ou moins prononcé. Une évolu- tion plus lente s'opérant suivant le mode sub-aigu ou chro- nique, une tendance à la généralisation, marquée surtout dans les premières périodes, des temps d'arrêt fréquents, suivis de l'envahissement des parties non encore affectées, distinguent, au contraire, la paralysie générale spinale et la rapprochent de l'atrophie musculaire progressive avec laquelle elle est quelquefois confondue, bien à tort, dans la clinique. La première se sépare cependant nettement de la seconde par les caractères suivants : les muscles de tout un membre ou d'une partie d'un membre sont frappés en masse, presque uniformément, de paralysie ou d'atrophie; ils présentent, déjà à une époque peu éloignée du début de la maladie, des modifications très-prononcées de la con- tractilité électrique ; habituellement, enfin, une période de retour survient, pendant laquelle les muscles atrophiés récupèrent» au moins partiellement, leur volume et leurs fonctions (1).

Lésions musculaires consécutives aux affections du bulbe. C'est un sujet encore peu exploré. Cependant des faits, aujourd'hui en certain nombre, empruntés à l'his- toire de la paralysie labio-glosso-laryngée et de la sclérose en plaques, tendent à établir que, dans le bulbe comme dans la moelle épinière, les lésions irritatives des faisceaux blancs n'ont pas d'influence directe sur la nutrition des muscles ; tandis qu'au contraire celles qui portent soit sur les agrégats de cellules motrices étages sur le plancher du quatrième ventricule, soit sur les faisceaux de tubes ner- veux émanant de ces agrégats, peuvent, ainsi que je l'ai démontré, déterminer dans la langue, le pharynx, le la-

(l) Duehenne (de Boulogne). De Vélectnsation localisée, 3e édition.

72 ROLE DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES.

rynx, l'orbiculaire des lèvres, etc., une atrophie plus ou moins accusée des fibres musculaires (1).

L'exposé sommaire qui vient d'être présenté suffira, je l'espère, pour mettre en relief le rôle remarquable que, suivant les recherches les plus récentes, les lésions des cellules nerveuses antérieures jouent dans la production des troubles trophiques musculaires consécutifs aux alté- rations de la moelle épinière. Dans la pathogénie de la pa- ralysie infantile et des diverses formes de l'amyotrophie de cause spinale, ce rôle ne paraît pas douteux. Son influence est certainement moins nettement démontrée, mais cepen- dant fort vraisemblable encore, pour ce qui concerne l'hé- matomyélie, la myélite aiguë centrale et, en un mot, toutes les affections irritatives de la moelle dans lesquelles l'axe gris se trouve intéressé. D'un autre côté, l'absence de toute participation des faisceaux blancs et des cornes postérieures de la substance grise, dans le développement des affections musculaires dont il s'agit, est un fait qui s'appuie désormais sur des preuves suffisamment nombreuses.

Cela étant reconnu, il y a lieu de rechercher, Messieurs, pourquoi la lésion des cellules nerveuses motrices entraîne avec elle celle des fibres musculaires, tandis que les alté- rations irritatives, même les plus profondes, des faisceaux blancs, n'ont aucune influence directe sur la nutrition des muscles.

Relativement au premier point, on ne pourrait qu'imagi- ner des hypothèses plus ou moins plausibles, mais évidem- ment prématurées. Il n'y a pas à invoquer ici les renseigne- ments de la physiologie expérimentale ; ses procédés, infé-

(l) Comparez : Charcot. Note sur un cas de paralysie glosso-laryngée, suivi d'autopsie, m archives de Physiologie, 1869, pp. 3o6 636, pi. XIII. Obs. de Catherine Aubel. Duchenne (de Boulogne) et Joffroy. De l'atrophie aiguë et chronique des cellules nerveuses de la moelle et du bulbe rachidien. {Archives de Physiologie, 1870, p. 499.)

ROLE DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. 73

rieurs sous ce rapport à ceux de la maladie, ne sont pas assez délicats pour permettre d'atteindre isolément les cel- lules nerveuses. Il faut donc se borner, pour le moment, à enregistrer les laits tels' que nous les offre la clinique éclai- rée par Fanatomie pathologique et à constater que com- parables en cela aux nerfs périphériques les cellules nerveuses motrices ont le pouvoir, lorsqu'elles sont deve- nues le siège d'un travail d'irritation, de modifier à distance la vitalité et la structure des muscles.

Pour ce qui est du second point, si l'on se reporte à ce que nous avons dit des effets de l'irritation des nerfs, il pourra sembler contradictoire, au premier abord, que la nutrition des muscles ne soit pas affectée lorsque les fais- ceaux blancs de la moelle sont occupés par l'inflammation. Pour montrer que la contradiction n'est qu'apparente, il suffira cependant de rappeler que, malgré l'analogie de composition, les cordons blancs ne sont nullement assimi- lables aux nerfs : l'expérimentation révèle, en effet, dans ceux-ci. des propriétés qu'on ne trouve pas dans ceux-là, et inversement. L'anatomie montre d'ailleurs que les tubes nerveux qui constituent les nerfs ne sont que. pour une part très-minime, la continuation directe de ceux qui, par leur réunion, forment les faisceaux blancs. Ces faisceaux paraissent presque entièrement composés de fibres qui, nées soit dans l'encéphale, soit dans la moelle elle-même, établissent, à la manière des commissures, des communica- tions entre la moelle épinière et le cerveau, ou encore entre les divers points de l'axe gris spinal. Il était à prévoir, d'après cela, que, à beaucoup d'égards, les faisceaux blancs de la moelle, sous l'influence des lésions irritatives, se com- porteraient autrement que les nerfs périphériques.

Quand je me suis proposé d'exposer devant vous, Mes- sieurs, les principaux faits relatifs aux troubles trophiques qui se montrent consécutivement aux affections du système nerveux, j'espérais que ma tâche pourrait être menée ta

74 IMPORTANCE DE L ETUDE DES TROUBLES TROPHIQUES.

bonne fin dans l'espace de deux leçons. Mais, à mesure que j'avance dans cette exposition, l'importance et l'étendue de la question se manifestent dans toute leur évidence. Je suis loin d'avoir épuisé le sujet, malgré les développements dans lesquels je suis entré déjà; j'ose espérer que vous n'aurez pas à regretter le temps que nous devrons encore lui consacrer.

TROISIÈME LEÇON

Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la moelle épinière et du cerveau {Suite.)

Sommaire. Affections cutanées dans la sclérose des cordons postérieurs : Eruptions papuleusesoulichénoïdes, urticaire,, zona, éruptions pustuleuses; leurs relations avec les douleurs fulgurantes ; elles paraissent relever de la même cause organique que les douleurs.

Eschares à développement rapide [Decubitus acutus) dans les maladies du cerveau et de la moelle épinière. Mode d'évolution de cette affection de la peau : Erythème, huiles, mortification du derme. Accidents con- sécutifs à la formation des eschares : a. Infection putride, infection pu- rulente, embolies gangreneuses; b. Méningite ascendante purulente simple, méningite ascendante ichoreuse. Décubitus aigu dans l'apoplexie symptomatique des lésions cérébrales en foyer. Il se manifeste sur les membres frappés de paralysie, principalement à la région fessière ; son importance au point de vue du pronostic. Décubitus aigu dans les ma- ladies de la moelle épinière : Il siège eu général à la région sacrée.

Arthr.opathies qui dépendent d'une lésion du cerveau ou de la moelle épinière. A. Formes aiguës ou subaiguës : elles se montrent dans les cas de lésion traumatique de la moelle épinière, dans la myélite par com- pression (tumeurs, mal de Pott), dans la myélite primitive, dans l'hémi- plégie récente, liée au ramollissement cérébral. Ces arthropathies oc- cupent les jointures des membres paralysés. B. Formes chroniques : elles paraissent dépendre, comme les amyotrophies de cause spinale, d'une lésion des cornes antérieures de l'axe gris ; on les observe dans la sclérose postérieure (ataxie locomotrice) et dans certains cas d'atrophie musculaire progressive.

Messieurs,

Lorsque j'ai traité des troubles de la nutrition détermi- nés par les lésions des nerfs périphériques, je vous ai laissé pressentir que ces affections consécutives se trou- vaient représentées, pour la plupart, dans les cas de lé- sions portant sur l'axe spinal. A la vérité, il ne s'agit pas

76 AFFECTIONS CUTANÉES DANS L'ATAXIE LOCOMOTRICE.

toujours ici d'une reproduction servile; en général même, les troubles trophiques de cause cérébrale ou spinale, ainsi que nous aurons plusieurs fois l'occasion de le cons- tater, portent avec elles le cachet de leur origine. Mais il est des circonstances la ressemblance entre les affections de cause centrale et celles qui dépendent d'une lésion des nerfs périphériques est tellement frappante, que la dis- tinction peut en être des plus difficiles. Nous citerons comme exemple de ce genre certaines éruptions cutanées qui surviennent parfois dans le cours de l'ataxie.

I.

Les affections cutanées auxquelles nous venons de faire allusion peuvent être groupées ainsi qu'il suit : a) érup- tions papuleuses ou lichénoïdes ; b) urticaire-, c) zona; d) éruptions pustuleuses, ayant de l'analogie avec l'ec- thyma.

Voici en quelques mots le résultat de mes observations à ce sujet. Il n'est pas rare de voir la peau des jambes et des cuisses se couvrir temporairement d'une éruption papu- leuse ou lichénoïde, plus ou moins confluente à la suite des accès de douleurs fulgurantes spéciales à l'ataxie loco- motrice. Chez une femme actuellement en traitement à la Salpétrière, d'énormes plaques d'urticaire se produisent à chaque accès au niveau des points siègent les douleurs les plus vives. Chez une autre, la peau de la région fes- sière droite s'est couverte d'une éruption de zona limitée au trajet des filets nerveux occupés par les fulgurations douloureuses. Une troisième malade, enfin, a présenté, dans des circonstances analogues, des phénomènes encore plus remarquables. Cette femme, âgée de 61 ans, admise, il y a huit ans, à l'hospice comme aveugle (atrophie sclé- reuse des nerfs optiques), est aujourd'hui atteinte d'ataxie locomotrice bien caractérisée. Chez elle, la maladie a évo-

LEUR RELATION AVEC LES DOULEURS FULGURANTES. 77

lue d'une manière très-rapide, car les premiers accès de douleurs fulgurantes datent du mois de mars 1865, et déjà, en juillet 1866, l'incoordination était assez prononcée pour rendre la marche difficile. Un de ces accès, qui eut lieu en juin 1867, présenta une intensité exceptionnelle. Les dou- leurs, qui étaient vraiment atroces, parurent fixées pen- dant plusieurs jours sur le trajet des rameaux cutanés des nerfs petit sciatique et releveur de l'anus du côté droit. Pendant ce temps, les parties correspondantes de la peau se couvrirent de très-nombreuses pustules, analogues à l'ecthyma, dont quelques-unes devinrent le point de départ d'ulcérations profondes. De plus, une eschare arrondie, ayant environ 5 centimètres de diamètre, et qui intéressait le derme dans la presque totalité de son épaisseur, se pro- duisit sur la région sacrée du côté droit, à quelques centi- mètres de la ligne médiane, immédiatement au-dessous de l'extrémité du coccyx. La cicatrisation de la plaie, qui per- sista après l'élimination des parties sphacélées, ne fut com- plète qu'au bout de deux mois. Dans un autre accès, les douleurs fulgurantes suivirent la direction de la branche verticale du nerf saphène interne gauche, et une éruption pustuleuse se produisit bientôt sur la peau des régions se distribue ce nerf.

Un caractère commun à toutes ces éruptions. et ce ca- ractère est bien propre à faire voir qu'il ne s'agit pas, en pareil cas, d'éruptions banales, c'est qu'elles se montrent de concert avec certaines exacerbations, exceptionnelle- ment intenses et tenaces, des douleurs spéciales, en quelque sorte pathognomoniques de la sclérose fasciculée des cor- dons postérieurs, et que l'on a coutume de désigner sous le nom de douleurs fulgurantes.

Je relèverai cet autre ' caractère que les éruptions en question siègent d'habitude sur le trajet même des nerfs envahis par la fulguration douloureuse.

Vous voyez par ce qui précède que l'existence de ces éruptions cutanées parait intimement liée à celle des dou-

78 IRRITATION DES FAISCEAUX RADIGULAIRES.

leurs fulgurantes, et il devient ainsi au moins très-vraisem- blable qu'une même cause organique préside au développe- ment de celles-ci et de celles-là.

Quelle est donc la raison de la présence des douleurs ful- gurantes parmi les symptômes de la sclérose des cordons postérieurs ? Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans de longs développements à propos de cette question que nous retrouverons par la suite ; il me suffira, pour le moment, de vous dire, que suivant toutes les probabilités, ces dou- leurs dépendent de l'irritation que subissent, dans leur tra- jet intra-spinal, ceux des tubes nerveux émanant des ra- cines postérieures, qui, sous le nom de faisceaux radiculaires internes (masses fibreuses internes des racines posté- rieures) dans la nomenclature de Kôlliker (1), traversent dans une certaine étendue l'aire des cordons postérieurs, avant de pénétrer dans les cornes postérieures de la subs- tance grise.

Il ne paraît guère possible de rattacher la production des douleurs fulgurantes à l'une quelconque des lésions sui- vantes : atrophie des racines postérieures avant leur en- trée dans la moelle épinière ; méningite spinale posté- rieure ; sclérose des cornes postérieures de la substance grise ; lésions irritatives des ganglions spinaux ou des nerfs périphériques ; car ces douleurs ont été rencontrées dans un certain nombre de cas d'ataxie l'on a pu s'as- surer, après la mort, de l'absence de toute lésion du genre de celles qui viennent d'être énumérées.

A l'appui de cette proposition, permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler les résultats de l'autopsie que nous avons faite, M. Bouchard et moi, d'une femme morte, dans cet hospice, pendant le cours de la première période de l'ataxie locomotrice progressive (2). Chez cette femme, les douleurs

(1) Kôlliker. Histologie humaine, première partie, p. 345, 340.

(2) Douleurs fulgurantes de Vataxie, sans incoordination des mouvements, sclérose commençante des cordons postérieurs de la moelle épinière. In Comptes rendus des séances et mémoires de la Société de biologie, année 1866.

PATHOGEXIE DES DOULEURS FULGURANTES. 79

paroxystiques spéciales avaient existé, à un haut degré, pendant près de quinze ans, à l'époque de la terminaison fatale causée par une maladie accidentelle. Jamais il ne s'était présenté aucun signe d'incoordination motrice. La malade marchait sans embarras, sans mouvement de pro- jection des jambes, sans frapper le sol du talon, sans que l'occlusion des paupières modifiât son assurance. A l'au- topsie, on constata que les racines postérieures avaient conservé les caractères de l'état normal, et à part quel- ques traces assez équivoques de méningite, les seules lé- sions appréciables qui furent rencontrées occupaient les cordons postérieurs et consistaient en une multiplication des noyaux de la névroglie avec épaississement des mailles du réticulum, mais sans altération concomitante des tubes nerveux. Pour compléter la démonstration, je pourrais ci- ter plusieurs faits du même genre dans lesquels les dou- leurs fulgurantes avaient été également très-intenses, et où, lors de l'autopsie, je n'ai pu reconnaître l'existence d'alté- rations quelconques, soit dans les cornes grises postérieu- res, soit dans les nerfs périphériques, soit enfin sur les mé- ninges spinales.

D'après cela, ce serait dans l'altération irritative des faisceaux postérieurs de la moelle épinière qu'il faudrait chercher le point de départ des douleurs fulgurantes des ataxiques. Mais il est peu vraisemblable que toutes les par- ties de ces faisceaux puissent à cet égard être mises en cause indistinctement ; tout porte à croire, au contraire, que les fibres sensitives, issues des racines postérieures qui composent, pour une part, les faisceaux radiculaires in- ternes, doivent être seules incriminées. Ces fibres partici- peraient, de temps à autre, d'une façon périodique, à l'irri- tation dont les cordons eux-mêmes sont le siège permanent; et ainsi se produiraient ces crises d'élancements douloureux qui, suivant une loi physiologique bien connue, sont rap- portées à la périphérie, bien qu'ils reconnaissent, en réalité, une cause centrale.

80 ZONA LIÉ AUX LÉSIONS DE L'ENCÉPHALE.

Comment comprendre, d'un autre côté, l'apparition des éruptions cutanées qui s'observent quelquefois chez les ataxiques, dans le temps même se manifestent les accès fulgurants d'une intensité anormale ? Il est certain que les fibres nerveuses qui constituent les faisceaux radiculaires internes ne sont pas toutes sensitives; il en est, entre au- tres, parmi elles, au moins un certain nombre, qui servent à l'accomplissement des actes réflexes ; il en est d'autres, aussi, sans doute, c'est du moins ce que tend à démontrer l'apparition même des éruptions cutanées en question qui appartiennent au système des nerfs centrifuges et qui ont, sur l'exercice des fonctions nutritives de la peau, une influence plus ou moins directe. L'irritation de ce dernier ordre de fibres irritation plus difficile à mettre en jeu que ne l'est celle des fibres sensitives devrait être invo- quée pour expliquer, dans les cas auxquels je faisais allu- sion plus haut, tantôt la production des affections papu- leuses, tantôt celles des affections vésiculeuses, pustuleuses ou enfin gangreneuses.

Les faisceaux postérieurs sont-ils les seuls départements de la moelle épinière, dont l'irritation soit capable de déter- miner la production de semblables affections? Cette ques- tion pour le moment doit rester sans réponse. Tout ce qu'on peut dire, c'est que ces éruptions n'ont pas été signa- lées encore, à moins qu'il n'y eut quelque complication, dans les cas de lésions irritatives limitées soit aux cordons antéro-latéraux, soit aux cornes antérieures de la substance grise; et quant au rôle que pourraient jouer à cet égard les cornes grises postérieures, nous sommes, sur ce sujet, dans l'ignorance la plus complète.

Par contre, quelques faits ont été recueillis, qui ten- draient à établir que le zona se développe quelquefois sous l'influence directe des lésions partielles de l'encéphale. Ainsi, chez une vieille femme atteinte d'hémiplégie, et dont l'histoire a été rapportée par le docteur Duncan, une érup- tion de zona apparut sur la cuisse du côté paralysé ; la para-

ZONA LIE AUX LESIONS DE L ENCEPHALE. 81

lysie motrice était survenue à peu près en même temps que l'éruption et se dissipa en même temps qu'elle (1). Chez un enfant observé par le docteur Payne, le zona, qui répon- dait au trajet des branches superficielles du nerf crural an- térieur, se manifesta trois jours après le développement d'une hémiplégie occupant le même côté du corps que l'é- ruption (2). Ces faits, qu'on pourrait multiplier, sont, sans aucun doute, fort dignes d'intérêt ; malheureusement, ils n'ont été relatés que d'une façon très-sommaire, et il faut se garder, je crois, d'en tirer des déductions qui seraient peut-être prématurées. Je puis citer, en effet, un cas à beaucoup d'égards analogue aux précédents, que j'ai ob- servé récemment à la Salpétrière, et dans lequel le zona reconnaissait très-vraisemblablement pour cause l'irritation d'un nerf périphérique. L'éruption vésiculeuse siégeait, cette fois encore, au membre inférieur du côté paralysé, elle suivait la distribution des rameaux superficiels de la'branche cutanée péronière.Elle s'était déclarée d'ailleurs en même temps que l'hémiplégie, et celle-ci, dont le début avait été brusque, se rattachait à la formation, dans l'un des hémisphères cérébraux, d'un foyer de ramollissement, déterminé lui-même par l'oblitération embolique d'une ar- tère cérébrale postérieure. Quant au zona, voici, je pense, suivant quel mécanisme il s'était produit : un rameau arté- riel spinal (3), issu, sans doute, d'une des artères sacrées latérales, fut trouvé, à l'autopsie, obstrué par un caillot sanguin, et formant un cordon relativement volumineux, accolé à l'une des racines spinales postérieures de la queue de cheval. Il est probable qu'à son passage à travers le trou sacré, cette artériole, distendue à l'excès par le thrombus,

(1) Journal of eut. med., etc., 69, Erasmus Wilson, 1868, octobre.

(2) Britishmed. Journal, August., 1871.

(3) Un des rami medulla spinales. Voir R. Rudinger. Arterienverzwei- ffunff, in dent Wirbelkanal, etc., in Verlreitung des sympathicus, p. 2. Mun- cheu, 1863.

Charcot, t. 1, 3e éd. 6

82 ZONA LIÉ AUX LÉSIONS DE L'ENCÉPHALE.

avait comprimé soit le ganglion spinal, soit une branche d'origine du nerf sciatique, de manière à en déterminer l'irritation. Une ulcération végétante, qui siégeait sur l'une des valvules sigmoïdes de l'aorte, paraît avoir été le point de départ de tous les accidents que nous venons de signaler (1).

(l) Voici d'ailleurs les principaux détails de cette observation, qui offre un bel exemple d'endocardite ulcéreuse, avec embolies multiples et élat typhoïde. Le nommé Lacq..., âgé de 22 ans, soldat, fut admis le 28 décembre 1870, à l'ambulance de la Salpétrière (service des fiévreux). Il était en proie, paraît-il, à une fièvre intense depuis deux ou trois jours. Le jour de l'admission, on nota ce qui suit : céphalalgie vive, douleurs de reins, diar- rhée. Le malade ne peut ingérer la moindre quantité de liquide sans être pris de nausées et de vomissements. Peau chaude, pouls très- fréquent. On crut qu'il s'agissait d'une fièvre typhoïde. Pendant la nuit, délire bruyant. Le lendemain 29, on constata l'existence d'une hémiplégie à peu près complète du côté gauche. Il n'y a pas de rigidité dans les membres pa- ralysés; paralysie faciale incomplète, également du côté gauche. Les yeux sont constamment dirigés vers la droite, et il y a du nystagmus. Pouls 120, temp. rect. 40°, 5, Sur la poitrine, les avant-bras, les cuisses, la peau présente un grand nombre de petites ecchymoses assez semblables à des piqûres de puces ; respiration fréquente, râles sibilants dans la poi- trine. Ventre ballonné. Sur la face antéro-externe de la jambe gauche, paralysée, il existe une éruption de zona qui' répond exactement à la distri- bution des rameaux superficiels de la branche cutanée péronière et du nerf musculo-cutané. Un premier groupe de vésicules se voit au-dessus et au-des- sous de la rotule; un autre groupe plus nombreux est disposé suivant une ligne verticale qui descend jusqu'au niveau du tiers moyen de la jambe. Un troisième groupe siège au cou-de-pied, en avant et en dedans de la malléole externe. L'éruption est assez développée. On note qu'il en existait déjà quelques légères traces la veille, c'est-à-dire dès avant le début de l'hémi- plégie. — Le 30, l'éruption est en pleine efllorescence. Le malade suc- combe à quatre heures de l'après-midi.

Autopsie. Une des valvules sigmoïdes de l'aorte est ulcérée et couverte de végétations d'apparence fibrineuse, molles, rougeâtres. Les ganglions du mésentère sont un peu rouges et tuméfiés, mais il n'existe pas trace d'ulcé- rations ou d'éruptions dothiénentériques dans l'intestin grêle non plus que dans le gros intestin. Ecchymoses nombreuses sur les plèvres viscérale et pariétale, le péricarde, le péritoine. La rate et les reins offrent des in- farctus à divers degrés de développement. Hémisphère cérébral du côté droit : sur plusieurs points du lobe occipital, la pie-mère, vivement injectée, présente de larges sutfusions sanguines. Le lobe lui-même est ramolli à peu près dans toute son étendue; la substance cérébrale présente une teinte grisâtre et, en un point, on rencontre au milieu des parties ramollies un épan- chement sanguin du volume d'une amande. L'artère cérébrale postérieure

DÉCUBITUS AIGU. 83

On voit que, dans ce cas, la coexistence de l'hémiplégie et de l'éruption vésiculeuse résultait, jusqu'à un certain point, d'une coïncidence ibrfuite. Quoi qu'il en soit, à défaut du zona, il est d'autres troubles trophiques de la peau, dont l'existence peut être rattachée quelquefois à l'influence d'une lésion encéphalique. C'est un fait qui, je l'espère du moins, sera bientôt mis hors de doute.

II.

Eschares à développement rapide : DecaMtus acutus. J'abandonne rapidement les éruptions de l'ataxie locomo- trice, qui n'offrent, en somme, qu'un intérêt de second or- dre, pour attirer votre attention d'une façon toute spéciale sur une autre affection de la peau, à laquelle revient un rôle très-important dans l'histoire clinique d'un bon nom- bre de maladies du cerveau et de la moelle épinière.

L'affection cutanée dont je vais vous entretenir, se mon- tre, à l'origine, sous la forme d'une plaque érythémateuse, sur laquelle se développent rapidement des vésicules ou des bulles ; elle aboutit fréquemment très-vite à la mortification du derme et des parties sous-jacentes.

Elle occupe le siège, le plus habituellement ; mais elle peut se développer aussi à peu près indifféremment sur

du même côté est complètement oblitérée par un thrombus. La moelle épinière durcie par l'acide chromique et examinée à l'aide de coupes minces, dans ses diverses régions, ne présente aucune altération appréciable. A la queue de cheval, du côté gauche, on trouve accolée à lune des racines spinales postérieures qui donnent origine au plexus sacré, une artériole (ra- meau spinal, branche de l'artère sacrée latérale), distendue par un caillot sanguin. L'artère oblitérée, dont le volume égale celui d'une plume de corbeau, peut être suivie depuis le point la racine a été coupée, non loin du trou sacré correspondant, jusqu'à la moelle; sur celle-ci, elle peut être suivie encore dans toute l'étendue du rendement lombaire, elle remonte le long du sillon médian postérieur, contrairement à la disposition que pré- sente habituellement le plexus artériel spinal postérieur.

84 DÉCUBITUS AIGU.

toutes les parties du tronc ou des membres soumis dans le décubitus à une pression quelque peu durable. Une pres- sion des plus légères et de très-courte durée suffit même pour la faire apparaître dans certains cas. Enfin, il est d'autres cas encore, à la vérité très-exceptionnels, elle paraît se produire sans l'intervention de la moindre pression ou de toute autre cause occasionnelle du même genre (1).

C'est une affection bien différente de toutes les érup- tions, d'ailleurs très-variées, que l'on observe si communé- ment au siège, chez les sujets qui, par le fait des maladies les plus diverses, sont condamnés à séjourner au lit pen- dant un temps très-long. Ces éruptions, tantôt érythéma- teuses, lichénoïdes, tantôt pustuleuses, ulcéreuses, tantôt papuleuses, ressemblant à s'y méprendre à des plaques muqueuses, sont en général occasionnées par le contact répété et prolongé de substances irritantes telles que les urines ou les matières fécales. Elles peuvent, de même que le décubitus aigu, devenir le point de départ de véritables eschares ; mais ce dernier se sépare nettement des premiè- res jpdcr des caractères importants qui sont : en premier lieu, l'apparition, peu de temps après le début de la maladie primitive ou à la suite d'une brusque exacerbation, et, en second lieu, une évolution très-rapide.

En raison de l'intérêt tout particulier qui s'y rattache, l'affection dont il s'agit mérite certainement d'être dési- gnée par une dénomination propre. L'un des rares auteurs qui en aient fait une étude spéciale, M. Samuel, a proposé pour la caractériser, le nom de decubitus acutiis, ou autre- ment dit, eschare à formation rapide (2). Il veut la distin- guer ainsi du decabitus chronicas, c'est-à-dire de la nécrose

(1) Brown-Séquard. Lectures on the central nervous System. Philadelp., 1868, p. 248. Couyba. Des troubles trophiques, etc. Thèse de Paris, 1871, p. 43.

(2) Décubitus. . . . Eschare {AIL Wundliegen] qui se forme au sacrum et ailleurs, etc. . , . Littré et Robin, Dictionnaire, Paris, 18G5.

SES CARACTÈRES. 85

dermique, se produisant longtemps après l'invasion de la maladie qui en a été l'occasion. Nous vous proposons d'ac- cepter cette appellation en vous faisant remarquer, toute- fois, que la mortification de la peau n'est pas tout dans le deciiUtus acaliis. Elle répond, en somme, aux phases les plus avancées du processus morbide. Il peut arriver, en effet, que les vésicules ou les bulles se flétrissent et se des- sèchent sans que la partie du derme sur laquelle elles re- posent ait présenté la moindre trace de nécrose ; cela se voit principalement lorsqu'elles se produisent sur des points la pression n'a pu être que de courte durée, peu intense, et pour ainsi dire accidentelle, comme aux chevilles, à la face interne des genoux, des jambes ou des cuisses. Or, il importe de savoir reconnaître la signification de ces vési- cules et de ces bulles, dès leur entrée en scène, car, même à cette époque, elles permettent dans de certaines circons- tances, de formuler presque à coup sûr le pronostic.

Il m'a été donné, maintes fois, de suivre pour ainsi dire jour par jour, heure par heure, l'évolution du de cubitus acutus, dans les cas d'apoplexie consécutive à rhémorrha- gie ou au ramollissement du cerveau que nous rencontrons si fréquemment dans cet hospice (1). Je puis m'appuyer sur les observations que j'ai faites à cet égard, dans la descrip- tion générale qui va suivre, car j'ai pu constater, d'un autre côté, que le décubitus aigu lié aux maladies du cerveau, ne diffère pas essentiellement de celui qui se développe sous l'influence des lésions spinales.

Quelques jours et parfois même quelques heures seule- ment après le début de l'affection cérébrale ou spinale, ou encore à la suite d'une brusque exacerbation de ces affec- tions, il se manifeste sur certains points de la peau, une ou plusieurs plaques érythémateuses, d'étendue variable et à

(l) Charcot. Note sur la formation rapide d\me eschare à la fesse du côté paralysé dans l'hémiplégie récente de cause cérébrale. In Archio. de phy- siolog. normale et patholog., t. Ier, 1868, p. 308.

86 son mode d'évolution.

contours plus ou moins irréguliers (1). La peau offre tantôt une teinte rosée, tantôt une coloration d'un rouge sombre, violacée même, mais qui cède toujours, momen- tanément, sous la pression du doigt. Dans des circonstances assez rares et que, jusqu'ici, j'ai rencontrées à peu près uniquement dans les cas de lésions de la moelle épinière, il se produit en outre, aux dépens du derme et des parties sous-jacentes, une tuméfaction d'apparence phlegmo- neuse, qui peut s'accompagner parfois de douleurs vives, si la région n'était pas au préalable frappée d'anesthésie.

Dès le lendemain ou le surlendemain, les vésicules ou les bulles se développent vers la partie centrale de la plaque érj^thémateuse : elles renferment un liquide tantôt incolore et d'une transparence parfaite, tantôt plus ou moins opaque, rougeâtre ou de couleur brune.

Les choses peuvent en rester là, ainsi que nous vous l'avons dit, et alors les bulles ne tardent pas à se flétrir et à se dessécher. Mais, d'autres fois, l'épiderme soulevé se déchire, se détache par lambeaux, et met à nu une surface d'un rouge vif parsemée de points ou de plaques bleuâtres, violacées, répondant à une infiltration sanguine du derme. Déjà, en pareil cas, le tissu cellulaire sous-cutané, et par- fois même les muscles sous-jacents, sont, eux aussi, en- vahis par l'infiltration sanguine ; c'est un fait dont je me suis assuré plusieurs fois par l'autopsie.

Les plaques violacées s'étendent rapidement en largeur, et elles ne tardent pas à se confondre par leurs bords. Peu de temps après, il se produit, dans les points qu'elles occu- pent, une mortification du derme, d'abord superficielle, mais qui, bientôt, gagne en profondeur. L'eschare est dès lors constituée.

Plus tard se développe un travail de réaction, d'élimina- tion, suivi, dans les cas heureux, d'une période de répara-

(l) J'ai constaté anatomiquement que, en pareil cas, le derme est infiltré de leucocytes, ainsi que cela a lieu dans l'érysipèle.

son mode d'évolution. W

tion trop souvent entravée dans son développement. Je n'ai pas besoin, je pense, de m'appesantir sur ce point.

Je viens de vous entretenir de détails minutieux, mais j'espère vous amener à reconnaître qu'ils ont bien leur intérêt. R. Briglit les croyait assez dignes d'attention et assez peu connus pour qu'il ait cru devoir y insister dans ses Reports of médical Cases et juger utile de l'aire repré- senter, par des modèles en cire qui figurent sans doute encore aujourd'hui au musée de Guy 's Hospital, les bulles du deeubitus acidus observées dans un cas de paraplégie de cause traurnatique (1). Depuis lors, ce sujet n'a guère.

(i) Il ue nous paraît pas hors de propos de rappeler ici les remarques dont R. Bïight fait suivre les observations d'aiTection de la moelle épiuière avec formation rapide de bulles et d'eschares, qu'il a consignées dans ses Reports of médical Cases (t. II, Diseases of tke Brain and nervoe.s System. Loncon, 1831. Le premier fait concerne un ramollissement de la moelle, survenu sans cause extérieure appréciable, chez une femme de 21 ans, et occupant le renflement lombaire, immédiatement au-dessus de la queue de cheval. ~\ oici les réflexions que le cas en question suggère à l'auteur : « Une cir- constance curieuse, liée à :a paralysie des extrémités inférieures, est bien mise en relief dans cette observation; je veux parler de la tendance à la formation de vésicules ou de bulles, qui se montre dans les affections de ce genre. Ces vésicules, ces bulles apparaissent souvent dans l'espace d'une nuit, sur les parties les plus diverses des membres inférieurs, aux genoux, aux chevilles, au cou-de-pied, partout il s'est produit une pression acci- dentelle ou une irritation. Elles contiennent un liquiJe d'abord transparent, lequel devient opaque au bout de quelques jours. J'ai souvent pensé que cette connexité entre l'interruption de l'action nerveuse et la formation des bulles pouvait quelque jour éclairer la pathogénie de cette affection singu- lière qu on désigne sous le nom à' Herpès Zoster et qui paraît être liée à quelque condition particulière, peut-être la distension des nerfs sensitifs (loc. cit., p. 383). » Trois autres cas relatifs, cette fois, à des lésions trau- matiques de la moelle vchute d'un lieu élevé, écrasement par une charrette, etc.), ont donné lieu aux remarques suivantes : « Deux de nos malades sont morts des suites d'une inflammation de la vessie ; chez l'un d'eux les pa- rois de l'organe étaient le siège d'ulcérations et il s'était formé des abcès dans le tissu cellulaire circonvoisin. Deux jours après l'accident, des bulles apparurent aux pieds et à la partie interne des genoux, existe une pression réciproque. Deux points méritent surtout d être notés dans ces ob- servations. D'abord la lésion de la vessie. Celle-ci résulte de ce que l'or- gane a perdu en partie le pouvoir de résister aux causes d'excitation et aussi des modifications que subit l'urine longtemps retenue dans les parties les plus déclives de son réservoir. C'est une des causes les plus fréquentes

88 AFFECTIONS CONSÉCUTIVES AU DÉCUBITUS AIGU.

que je sache, à quelques rares exceptions près (1), arrêté les observateurs. Il serait injuste, toutefois, de ne pas re- connaître que, dans la fièvre typhoïde et le typhus, une affection cutanée qui a la plus grande analogie avec celle qui nous occupe et qui, peut-être, dépend en partie de con- ditions analogues, a été, en France, minutieusement décrite par Piorry (2) et en Allemagne par Pfeùfer (3).

Mais revenons, Messieurs, au décitbilus provoqué par les maladies des centres nerveux. Vous connaissez trop bien les accidents que les eschares , quelle qu'en soit d'ailleurs la cause, sont capables d'engendrer pour que je me laisse entraîner à vous présenter ici une description complète. Permettez-moi, cependant, de vous retracer en quelques mots les principaux d'entre eux, car vous devez vous attendre à les voir figurer souvent dans la période ultime d'un grand nombre d'affections du cerveau, et sur- tout de la moelle épinière.

Les eschares, pour peu qu'elles aient acquis une cer- taine étendue, constituent, vous le savez, de redoutables foyers d'infection ; et, de fait, Yintoxication putride, mar- quée par une fièvre rémittente plus ou moins accentuée, est une des complications qu'elles provoquent le plus com- munément.

Vient ensuite Y infection purulente, avec production

de la terminaison fatale chez les paraplégiques. Il faut noter, en second lieu, l'apparition des bulles sur les membres paralysés, circonstance à laquelle il a été fait allusion déjà dans les remarques précédentes. L'inaptitude à résis- ter aux agents de destruction est aussi mise en lumière, dans tous les cas, par la formation d'eschares profondes sur tous les points des parties para- lysées, soumis à la pression. » [Loc. cit., pp. 421, 422).

(1) Après R. Bright, il faut citer surtout B. Brodie. {Injuries of ike spinal Chord., in Med. chir. Transactions^. XX, 1837), etBrown-Séquard (loc. cit.).

(2) A T ouzé. Des dermopathies et des dermonécrosies sacro-coccy giennes . Thèse de Paris, 1853.

(3) Kercliensteiner' Bericht, in Henle und Pfeûfers Zeitschrift fur ration- nelle Medicin, Bd. V. Voir aussi Wunderlich, Pathologie, t. II, p. 285.

AFFECTIONS CONSÉCUTIVES AU DÉCUBITUS AIGU. 89

d'abcès métastatiques dans les viscères; ce second cas paraît assez rare (1).

Nous signalerons aussi les embolies gangreneuses. Dans cette dernière variété, des thrombus imprégnés de l'ichor gangreneux sont transportés à distance et donnent lieu à des métastases gangreneuses qui s'observent principalement dans les poumons. C'est un point sur lequel nous avons insisté, M. Bail et moi, dans un travail publié en 1860 (2). Mais bien avant nous et bien avant même que la théorie de l'embolie n'eût été germanisée, M. Foville (3) avait émis l'opinion qu'un nombre assez considérable de gangrènes pulmonaires, observées chez les aliénés et dans diverses affections des centres nerveux, sont causées par le « trans- port dans le poumon, d'une partie du fluide qui baigne les eschares au siège ».

Le travail de mortification tend à gagner de proche en proche et à envahir les tissus profonds. Le délabrement qui en résulte est quelquefois porté au plus haut point : ainsi les bourses séreuses trochantériennnes peuvent être ouvertes, le trochanter dépouillé de son périoste, les mus- cles, les troncs nerveux, les branches artérielles d'un cer- tain calibre mises à nu. Mais les accidents les plus redou- tables sont ceux surtout que déterminent la dénudation, les pertes de substance du sacrum et du coccyx, la des- truction du ligament sacro-coccygien et l'ouverture consé- cutive du canal sacré ou de la cavité arachnoïdienne. En conséquence de ces désordres, le pus et l'ichor gangre- neux peuvent venir infiltrer le tissu cellulo-graisseux qui

(1) Bilroth und Wseckerling, in LangenlecKs Archiv. f. Min Chir., Bd I, 1861, § 1. 470. Fracture de la sixième vertèbre dorsale, formation rapide d'une eschare au sacrum. Symptômes manifestes de pyémie; six ou huit abcès à la surface des reins. Midderdorf. Knochenhuch, % 62. Fracture de la hui- tième vertèbre dorsale. Formation rapide d'eschare ; pyémie ; abcès métas- tatique dans les poumons.

(2) De la coïncidence des gangrènes viscérales et des afections gangreneuses extérieures, in Union médicale, 26 et 28 janvier 1860.

(3) Dict. de méd. et de chir,prat., t. Ier, p. 556.

90 AFFECTIONS CONSÉCUTIVES.

enveloppe la dure mère, ou même, si cette dernière mem- brane est détruite en un point, pénétrer jusque dans la ca- vité de l'arachnoïde (1).

De graves complications cérébro-spinales surviennent habituellement, dans cet état de choses : elles peuvent être ramenées à deux chefs principaux. C'est tantôt une méningite ascendante purulente simple qu'on observe, tantôt une sorte de méningite ascendante ichoreuse dont Lisfranc et M. Baillarger ont rapporté plusieurs exemples re- marquables. En pareil cas, un liquide puriforme, grisâtre, acre et fétide imbibe les méninges et la moelle elle-même, tantôt dans la partie la plus inférieure seulement, tantôt dans toute sa hauteur. Ce liquide se retrouve quelquefois à la base de l'encéphale, dans le quatrième ventricule, l'aqueduc de Sylvius et jusque dans les ventricules laté- raux. Dans tous ces points, la substance cérébrale est teintée à sa surface et dans une certaine étendue en pro- fondeur, d'une coloration ardoisée, bleuâtre, laquelle, à plusieurs reprises, a été considérée, bien à tort, comme constituant un des caractères de la gangrène du cerveau (2). M. Baillarger a le premier, je crois, reconnu la véritable nature de cette altération. Il s'agit surtout d'un phéno- mène d'imbibition, de macération, de teinture. Remarquez que toujours, lorsque la méningite cérébrale ichoreuse a pour point de départ une eschare sacrée, la coloration ar- doisée se retrouve dans toute l'étendue de la moelle épi- nière ; elle est, là, constamment plus prononcée que dans l'encéphale, et d'autant plus qu'on s'éloigne moins de l'es-

(1) B. Brodie, loc. cit., p. 153. Velpeau. Anatom. chirurgicale. Ollivier (d'Angers). Traité des maladies de la moelle épinière, t. Ie l", p. 314, 324, 3e édit. 1837. Moynier. De Veschare au sacrum et des acci- dents qui peuvent en résulter (Moniteur des sciences médicales et pharmaceu- tiques. Paris, 1859.) Lisfranc, Archives générales de médecine, 4e année, t. XIV, p. 291.

(2) Dubois (d'Amiens). Mémoires de V Académie deMédecintt t. XXVII. p. 50, 1865, 1866.

PATHOGÉNIK DU DÉGUBITUS AIGU. 91

chare. Au contraire, dans le cas un ulcère sordide de la face, un cancroïde, par exemple, après avoir détruit les os, aurait mis à nu la dure-mère, la coloration ardoisée provoquée par la macération ichoreuse pourrait , ainsi que je l'ai constaté plusieurs fois, rester limitée aux lobes antérieurs du cerveau, dans les régions correspondant au fond de l'ulcère.

A ces complications que je ne puis qu'indiquer d'une manière très-sommaire, il faut, avec Ollivier (d'Angers), rattacher les symptômes cérébraux ou cérébro-spinaux graves, assez mal définis encore, qui terminent rapidement la vie, dans un grand nombre de cas de maladie de la moelle épinière.

Nous devons, actuellement, entrer dans les détails, et vous faire connaître les principales circonstances dans les- quelles se produit le décubitus aigu, sous l'influence des lésions du cerveau et de la moelle épinière, ainsi que les variétés de siège et d'évolution qu'il présente, suivant la nature ou le siège de la lésion qui en a provoqué l'appari- tion. Nous aurons à rechercher également si le mode de production de cette lésion trophique de la peau rentre dans la théorie générale à laquelle nous avons nous rattacher jusqu'ici. Bans ce but, nous passerons successivement en revue les diverses affections du cerveau et de la moelle qui peuvent donner lieu au décubitus aigu.

A. Du décuUtus aigu dans V apoplexie symptomatique de lésions cérébrales en foyer. C'est surtout dans l'apo- plexie consécutive à l'hémorrhagie intra-encéphalique, ou au ramollissement partiel du cerveau qu'on l'observe. Mais il peut se produire encore dans l'hémorrhagie méningée, la pachyméningite, dans le cas, enfin, des tumeurs intra- crâniennes donnent lieu à des attaques apoplectiformes. Les derniers événements m'ont fourni plusieurs fois l'occasion

92 DÉCUBITUS DANS LES LÉSIONS DU CERVEAU.

de l'observer chez des sujets atteints d'encéphalite partielle déterminée par des plaies de guerre (1).

L'érythème, dans tous les cas de ce genre, se manifeste habituellement du deuxième au quatrième jour après l'at-

(l) L'obligeance de mon collègue, M. Cruveilhier, chirurgien de la Sal- pétrière, me met à même de rapporter le fait suivant, que je cite à titre d'exemple du dernier genre :

Le nommé Erust, Louis, soldat saxon, fut recueilli à Villiers, sur le champ de bataille, le 30 novembre 1870, et apporté à l'ambulance de la Sal- pétrière, le soir même, vers 9 heures. Une balle lui avait traversé le crâne de part en part : un des orifices siégeait en haut du front, un peu à gauche de la ligne médiane ; l'autre à droite, vers la partie moyenne du pariétal. La substance cérébrale faisait issue sous forme de champignon à travers ce der- nier orifice. La région temporale et la paupière supérieure du côté droit sont ecchymosées et tuméfiées; coma profond. Le 3 décembre, somnolence; le malade, quand on l'interroge vivement, profère quelaues sons inarticulés ; il tire bien la langue quand on l'y invite , la déglutition s'opère sans embarras. On constate l'existence d'une hémiplégie à peu près complète, avec flaccidité des membres du côté droit. De temps à autre, sans provocation, il se pro- duit dans le membre supérieur de ce côté une sorte de contraction spasmo- dique qui porte momentanément le bras dans la pronation Le diaphragme paraît, lui aussi, être de temps en temps le siège de contractions analogues. La respiration, par moments irrégulière, est calme, sans stertor. Il n'y a pas de déviation de la tête ou des yeux. Les commissures labiales ne sont point déviées ; la sensibilité paraît très-émoussée sur tous les points du corps. Pas de vomissements. Pouls très-fréquent, MO? Le 4 décembre (5e jour), même état que la veille ; seulement la somnolence est plus profonde qu'hier : c'est à peine si l'on obtient quelques contractions des muscles de la face en pinçant fortement divers points de la peau. Selles et urines involontaires. Peau chaude, couverte de sueur; température axillaire, 41°. Un commence- ment d'escharre s'est présenté sur la fesse du côté droit {côté paralysé) ; rien de semblable n'existe à gauche. Sur la cuisse droite, à la face interne, un peu au-dessous du genou, dans un point le genou gauche fléchi, paraît avoir, pen- dant la nuit , exercé une pression un peu prolongée, on observe une bulle du vo- lume d'une amande, remplie de liquide citrin, et entourée d'une aréole érythé- mateuse peu étendue. Le genou gauche, dans le point la pression a s'exercer, ne présente, lui, aucune trace d'érythème ou de soulèvement épi- dermique. Le malade succomba le 5.

Autopsie. Les deux hémisphères cérébraux, à leur partie moyenne et supérieure dans les points qui correspondent aux extrémités internes des circonvolutions marginales antérieure et postérieure, sont transformés en une bouillie tantôt rougeâtre, et l'on trouve çà et de petits caillots dissé- minés, tantôt bleuâtres (coloration ardoisée). On reconnaît sur une coupe transversale que le ramollissement pénètre dans le centre ovale de Vieussens, jusqu'au voisinage des ventricules latéraux, qu'il n'atteint pas toutefois,

DECUB1TUS DANS LES LESIONS DU CERVEAU. 93

taque, rarement plus tôt, quelquefois plus tard. Il affecte d'ailleurs un siège tout particulier. Ce n'est pas à la région sacrée, ainsi que cela a lieu si communément dans les cas d'affection spinale, qu'il se développe, non plus que sur un point quelconque des parties médianes, mais bien vers le

Fig. 3. Eschare de la fesse du côté paralysé, dans un cas d'hémiplégie consécutive àl'hémorrhagie. a, Partie mortifiée; b, Zone érythéoiateuse.

centre de la région fessière, et, le plus souvent, s'il s'agit d'une lésion unilatérale du cerveau, exclusivement du côté correspondant à l'hémiplégie [Fig. 3).

même à gauche le foyer d'encéphalite est de beaucoup plus étendu qu'à droite dans toutes les directions. Les couches optiques et les corps striés sont parfaitement indemnes. Au voisinage des parties ramollies du cerveau, la dure-mère est recouverte d'une néo-membraue fibrineuse et purulente par places. Le crâne est fracturé en plusieurs points, au voisinage des orifices qui ont donné passage au projectile.

94 DECUBITUS DANS LES LESIONS DU CERVEAU.

Le lendemain ou le surlendemain l'éruption huileuse, puis la tache ecchymotique, apparaissent sur la partie cen- trale de la plaque érythémateuse, c'est-à-dire à 4 ou 5 cen- timètres environ en dehors du sillon interfessier, et à 3 ou 4 centimètres au-dessous d'une ligne fictive qui partirait de l'extrémité supérieure de ce sillon en suivant un trajet perpendiculaire à sa direction. Enfin, la mortification du derme se produit sur ce même point, et elle s'étend rapidement en largeur, si les jours du malade se prolon- gent; mais il est assez rare, en somme, que le décuhitus aigu des apoplectiques parvienne jusqu'à l'eschare confirmée.

Il est peu commun également de voir, en outre de l'érup- tion fessière, des huiles ou des vésicules se développer au talon, à la face interne du genou et, en un mot, sur les di- vers points du membre inférieur paralysé qui peuvent être soumis à une légère pression.

Je ne dois pas omettre de vous faire remarquer, chemin faisant, que, d'après mes observations, cette affection de la peau ne se montre que fort exceptionnellement dans les cas qui doivent se terminer d'une manière favorable ; son appa- rition constitue, par conséquent, un signe du plus fâcheux augure ; c'est, on peut le dire, le deciibitas ominosus par excellence. Ce signe, je le repète, ne trompe guère, et comme il est possible d'en constater l'existence dès les pre- miers jours, il acquiert par là, on le comprend, une grande valeur dans les cas douteux. L'abaissement très-marqué de la température centrale au-dessous du taux normal, constaté au début de l'attaque, à l'aide de l'exploration thermométrique, est à ma connaissance, le seul signe qui, dans les cas d'hémiplégie à invasion brusque, puisse, au point de vue du pronostic, rivaliser avec le précédent.

Les circonstances dans lesquelles se développe le décu- bitus aigu des apoplectiques ne permet évidemment pas de faire intervenir, comme élément unique, l'influence de la pression exercée sur les parties il se manifeste. La pres- sion, en effet, est égale pour les deux fesses, et l'éruption,

DÉCUBITUS AIGU DE CAUSE SPINALE. 16

nous l'avons vu, se produit exclusivement, ou du moins prédomine toujours sur la fesse du côté paralysé. Maintes fois, j'ai eu soin de faire reposer les malades sur le côté non paralysé, pendant la plus grande partie du jour, et cette précaution n'a d'aucune façon modifié la production de l'eschare. D'ailleurs, quelle peut être, en pareil cas, l'influence d'une pression qui ne s'exerce que depuis deux ou trois jours? On ne saurait, non plus, invoquer le contact irritant des urines. Dans plusieurs cas, j'ai fait recueillir ce liquide heure par heure, nuit et jour, à l'aide de la sonde, pendant tout le temps de la maladie, de manière à éviter, autant que possible, l'irritation de la peau du siège, et malgré tout, l'eschare s'est produite, suivant les règles indiquées.

Quelle peut être la cause organique de cette singulière lésion trophique? J'ai cru pendant longtemps que cette lé- sion devait être considérée comme un des effets de l'hypé- rémie neuroparalytique, laquelle se révèle toujours, vous le savez, d'une façon plus ou moins accusée, sur les mem- bres frappés d'hémiplégie de cause cérébrale, par une élé- vation relative de la température. Mais cette hypothèse est, ainsi que nous le verrons, passible d'une foule d'objections. Les faits qui seront exposés plus loin rendent plus vrai- semblable qu'il faut invoquer ici l'irritation de certaines régions de l'encéphale, qui auraient, dans l'état normal, une action plus ou moins directe sur la nutrition de divers points du tégument externe.

B. Du décubitus aigu de cause spinale. Lorsque le dé- cubitus aigu se produit sous l'influence d'une lésion de la moelle épinière, il se manifeste dans la très-grande majo- rité des cas, à la région sacrée par conséquent au-dessus et en dedans du siège de prédilection des eschares de cau- se cérébrale : là, il occupe la ligne médiane et s'étend aux parties voisines, symétriquement, de chaque côté. (Fig. 4). Il peut se faire toutefois qu'un seul côté soit affecté, dans

96

DECUBITUS AIGU DE CAUSE SPINALE.

le cas, par exemple, une moitié latérale de la moelle est seule intéressée, et alors c'est fréquemment sur le côté du corps opposé à la lésion spinale que siège la lésion cutanée. L'influence des attitudes joue ici un rôle important. Ainsi, il est habituel, lorsque les malades sont, pendant une par- tie du jour, placés de façon à reposer sur le côté, de voir, en outre de l'eschare sacrée, de vastes ulcérations nécro- siques se développer aux régions trochantériennes. Il est

Fig. 4. Eschare de la région sacrée dans un cas de myélite partielle siégeant à la région dorsale de la moelle épinière.—a, Partie mortifiée; b, Zone érythémateuse.

assez commun d'ailleurs contrairement à ce qui s'obser- ve dans les cas de lésions cérébrales que les divers points des membres paralysés qui sont exposés à subir une pression même très-légère et de courte durée, les malléoles, par exemple, les talons, la face interne des ge- noux — offrent les lésions qui caractérisent le décubitus,

MYÉLITES TRAUVIATIQUES. 97

aigu. Les eschares peuvent se montrer encore, à la vérité très-rarement, au niveau de la pointe des omoplates, ou sur les régions olécràniennes (1).

D'une manière très-générale, on peut dire que les lésions spinales qui produisent le décubitus aigu sont aussi celles qui donnent naissance à l'atrophie musculaire rapide et aux autres troubles du même ordre. Le développement à peu près simultané de ces diverses affections consécutives rend vraisemblable, déjà, qu'elles reconnaissent toutes une origine commune. Il importe de remarquer, toutefois, que cette règle est loin d'être absolue. En effet, certaines affec- tions spinales ont pour caractère que toujours l'atrophie rapide des muscles se développe sans accompagnement d'eschares, et il en est d'autres, par contre, l'eschare peut se produire sans que la nutrition des muscles, dans les membres paralysés, se montre affectée. C'est même un fait fort intéressant au point de vue de la physiologie patholo- gique et que nous jurons soin de faire ressortir (Fig. 4).

a) Nous mentionnerons en premier lieu les lésions trau- matiques de la moelle épinière, celles, en particulier, qui résultent de fractures ou de luxations de la colonne ver- tébrale. De nombreux faits de ce genre rapportés par Bright (2), Brodie (3), Jeffreys (4), Ollivier d'Angers (5), Laugier (6), Gurlt (1) et quelques autres (8), montrent avec

(1) W. Clapp. Provinc. med. and Sur g. Joum., 1851, p. 322 et Gurlt. loc. cit., p. 110, 76.

(2) R. Bright. Reports of médical Cases, t. II, pp. 380, 432. London, 182! .

(3) B. Brodie. Medie. clùr. Transact., p. 148, t. II, 1836.

(4) Jeffreys. Cases of fracture d spine in London medic. and surgical Journal. July, 1826.

(o) Ollivier (d'Anger?), loc. cit., t. I.

(6) S. Laugier. Des lésions trav.matiques de la moelle épinière. Thèse de concours. Paris, 1848.

(7) E. Gurlt. Handb. der Lehrevon den Knochenuruchen, 2 Th. 1. Liefer. Hamm., 1864.

(8) Voy.. sur ce sujet, un chapitre intéressant dans l'ouvrage de M. Samuel loc. rit., p. 239.

Charcot, t. 1, 3e éd. 7

98 MYÉLITES TRAUMATIQUES.

quelle rapidité les eschares sacrées peuvent se produire en pareil cas. Afin de bien fixer vos idées à cet égard, je vous demanderai la permission de rappeler brièvement quelques- uns de ces faits.

Dans un cas rapporté par le docteur Woodf de New- York (1), il s'agit d'une fracture du corps de la septième vertèbre cervicale, survenue à la suite d'une chute dans un escalier : la mort eut lieu quatre jours après l'accident. Dès le chuxièmejour, il existait de la rougeur à la région sacrée, et une bulle s'était formée au niveau du coccyx. Il y eut de l'hématurie le troisième jour. Une chute d'un lieu élevé détermina une diastase complète des sixième et septième vertèbres cervicales ; la mort survint soixante heures après la chute, et déjà, à cette époque, il existait un déciibitus très-prononcé. Le fait appartient au docteur Bùchner, de Darmstadt (2). Un des cas de Jeffreys est relatif à une fracture de la quatrième vertèbre dorsale ; une eschare confirmée occupait la région sacrée, dès le quatrième jour. L'eschare survint trois jours après l'ac- cident, chez un individu dont Ollivier (d'Angers) a rap- porté l'histoire, d'après Guersant, et qui avait reçu une balle dans le corps de la huitième vertèbre dorsale.

Un second cas de Jeffreys est particulièrement digne d'intérêt: Le malade était tombé d'une échelle de vingt-cinq pieds de haut. A l'autopsie, on trouva le corps des septième et huitième dorsales brisé en plusieurs pièces et ayant éprouvé un grand déplacement. Le jour de la chute, la peau était froide, le pouls à peine perceptible. Toutes les parties au-dessus de la fracture étaient privées de la sensi- bilité et du mouvement. Le lendemain, érections conti-

(1) Gurlt, loc. cit. Tableau 97.

(2) Gurlt, id. 86.

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nuelles ; « il survint des phlyctènes à la région du sacrum. » et, ce même jour, « le malade recouvra sa sensibilité. » Je signale ce dernier trait à votre attention, parce que plu- sieurs auteurs ont voulu bien à tort, vous le voyez. faire jouer à l'anesthésie un rôle important dans la patho- génie du décubitus aigu de cause spinale. La persistance de la sensibilité dans les parties situées au-dessous de la lésion se trouve, d'ailleurs, signalée encore, d'une façon plus ou moins explicite, dans un cas de Colliny (1), relatif à une fracture de la septième vertèbre cervicale et l'es- chare se manifesta le quatrième jour, ainsi que dans un fait d*011ivier (d'Angers 2 concernant une fracture de la douzième dorsale. L'escharo. dans ce dernier cas. fut cons- tatée le treizième jour.

Il est inutile de multiplier ces exemples, car tous les chirurgiens .s'accordent à reconnaître que la formation rapide d'eschares est un des phénomènes les plus communs à la suite des lésions spinales résultant des fractures avec déplacement des vertèbres. Suivant Gurlt. dont l'opinion à cet égard est fondée sur l'étude d'un très-grand nombre d'observations (3)j c'est du quatrième au cinquième jour après l'accident que commencent à apparaître le plus fré- quemment les premiers signes du décubitus aigu ; mais ils peuvent, nous venons de le voir, se manifester beaucoup plus tôt, dès le deuxième jour et même plus tôt encore. Il semble et c'est une remarque déjà faite par Brodie que la production des eschares soit d'autant plus hâtive que la lésion traumatique porte sur un point plus élevé de la moelle. D'un autre côté, il résulterait d'une statistique de J. Ashhurst. que les troubles de nutrition deviennent

(1) Cité par Ollivier (d'Angers), ïoc. cit.

(2) La sensibilité était également conservée dans le cas du docteur Bûchner, cité plus haut, et l'eschare se produisit avant la lin du troisième jour.

[3] Voir Gurlt, ïoc. cit., p. 94, analyse de 270 cas.

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plus fréquents à mesure que la blessure descend plus bas. Ainsi, d'après cet auteur, les eschares n'ont été notées que trois fois à la suite des lésions de la région cervicale (1/41 p. 100), 12 fois (9,23 p. 100) pour la région dorsale, tandis que pour la région lombaire la proportion s'est élevée à 12/100 (7 cas) (1).

Le priapisme, les convulsions cloniques plus ou moins intenses, survenant dans les membres paralysés, soit spon- tanément, soit en conséquence de provocations, les con- vulsions toniques se montrant par accès ; tous ces symp- tômes, qui révèlent habituellement un état d'irritation de la moelle épinière ou des méninges, se trouvent plusieurs fois mentionnés parmi ceux qui, dans les fractures de la colonne vertébrale, précèdent, accompagnent ou suivent de près la formation précoce des eschares.

En pareil cas, ainsi que nous l'avons vu, l'anesthésie des parties paralysées du mouvement n'est pas un fait cons- tant, et quant à l'élévation remarquable de la tempéra- ture, dont les parties deviennent quelquefois le siège en conséquence de la paralysie vaso-motrice (2), on ne saurait décider, quant à présent, si elle est alors présente, l'atten- tion des observateurs ne s'étant pas portée sur ce point particulier. Nous signalerons, au contraire, comme un symptôme qui se manifeste fréquemment dans le temps même se produit le décubitus aigu, l'émission d'urines sanguinolentes, alcalines et mêmes purulentes ; c'est un fait sur lequel nousaurons plus tard l'occasion de revenir.

(1) J. Ashhurst. Injuries ofthe Spine tvith an Analysis of nearly four hundred Cases. Philadelphie, 1867.

(2) Dans un cas de fracture de la colonne vertébrale, à la région dorsale, observé par J. Hutchinson, dès le second jour après l'accident, la tempéra- ture prise aux deux pieds, au niveau de la malléole interne, s'élevait au-delà de 38° c. A l'état normal, d'après les observations faites à London Hospital, par le docteur Woodman, le thermomètre placé entre les deux premiers or- teils donne en moyenne, 27°,5, le maximum étant 34°, 5 et le minimum 21°, 5. Voir J. Hutchinson. On Fractures of the Spine, in London Hospital Reports, t. III, 1866, p. 363. Voir aussi H. Vv eber et Gull. In The Lancet, janv. 27, 1872, p. 117. Glinical Society of London.

HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE. 101

La nécroscopie, jusqu'à ce jour, n'a révélé, en général,

relativement aux lésions spinales, rien qui soit particulier aux cas dans lesquels se produisent les eschares à déve- loppement rapide ; plusieurs fois cependant, on trouve men- tionnées, en pareille circonstance, des altérations de la moelle qui mettent hors de doute l'existence d'un processus inflammatoire : telles sont, par exemple, l'infiltration pu- rulente ou même la formation d'abcès au sein des parties ramollies, signalés dans plusieurs cas.

&) L'étude des faits d'hémiparaplégie, consécutive à des blessures n'intéressant qu'une moitié latérale de la moelle épinière, peut fournir des renseignements utiles concernant la pathogénie du décubitus aigu et de quelques autres trou- bles trophiques de cause spinale. On sait, par les travaux de M. Brown-Séquard, qu'à la suite des blessures de ce genre, il se produit chez les animaux une paralysie du mouvement dans le membre inférieur du côté siège la lésion spinale ; ce membre présente en outre un degré plus ou moins prononcé d'exaltation de la sensibilité tactile et il offre de plus une élévation notable de la température liée à la paralysie vaso-motrice. Le membre du côté opposé à la lésion conserve par contre sa température normale et ses mouvements, tandis que la sensibilité tactile s'y montre très-amoindrie ou même complètement éteinte. Toutes ces particularités se reproduisent exactement chez l'homme dans des circonstances analogues. Et chez lui, de même que chez les animaux, on peut voir survenir encore, dans les membres des deux côtés, divers troubles trophiques, lesquels se manifestent presque toujours simultanément et qui relèvent tous, d'ailleurs, manifestement, de la lésion spinale. Parmi les lésions de nutrition de ce genre obser- vées chez l'homme, nous signalerons surtout la diminution rapide de la contractilité électrique (faradique) des muscles, bientôt suivie d'atrophie, une forme particulière d'arthro- pathie sur laquelle j'aurai à revenir dans un instant, et

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enfin le décubitus aigu. Chose remarquable, tandis que l'arthropathie et l'atrophie musculaire siègent sur le membre du côté la moelle est lésée, l'eschare semble se montrer de préférence, au contraire, ainsi que nous l'avons fait re- marquer déjà, sur le membre du côté opposé elle occupe la région sacrée et la fesse dans le voisinage immédiat de cette région. Cette disposition particulière de l'eschare par rapport au siège de la lésion spinale serait, d'après ce qui m'a été dit par M. Brown— Séquard, un fait constant chez les animaux ; chez l'homme elle a déjà été constatée plusieurs fois. A titre d'exemple du genre, je citerai briè- vement les faits suivants :

Un homme, âgé de vingt-huit ans, dont l'histoire a été rapportée par M. Yiguès (1), reçut en arrière du thorax, entre la neuvième et la dixième vertèbres dorsales, un coup d'épée, qui, à en juger d'après les symptômes, lésa princi- palement la moitié latérale gauche de la moelle épinière. Il se produisit immédiatement une paralysie du mouvement qui, d'abord étendue aux deux membres inférieurs, se montra, dès le lendemain, presque restreinte au membre inférieur gauche. Sur ce dernier membre, l'hyperesthésie est très-manifeste ; celui du côté droit présente, au con- trire, une obnubilation très-marquée de la sensibilité, tandis que les mouvements y ont en grande partie reparu. Les symptômes allèrent s'améliorant rapidement jusqu'au douzième jour après l'accident. Ce jour-là on remarqua que, sans cause extérieure appréciable, le membre inférieur gauche , toujours plus sensible qu'à l'état normal avait augmenté de volume ; de plus, dans l'articulation du ge- nou il s'était accumulé une quantité de liquide assez con- sidérable pour tenir la rotule éloignée des condyles de plus d'un centimètre. Deux jours après, on aperçut une eschare siégeant sur la partie latérale droite du sacrum et sur la fesse du même côté.

(l) Brown-Séquard. Journal de la physiologie, etc., t. III, p. 130, 1863.

HÉMIPARAPLÉGIE TRAU VIATIQUE. 103

L'observation recueillie par MIL Joiïrov et Salmon, dans le service do M. Cusco, et communiquée récemment à la Société de biologie (1), reproduit pour ainsi dire jusque dans ses moindres détails le fait, cité plus haut, de M. Vi- guès. Dans pelle-là comme dans celui-ci. on voit à la suite d'une lésion traumatique portant sur une moitié latérale de la moelle épinière à la région dorsale, la paralysie du mou- vement survenir dans le membre inférieur correspondant au cûté lésé-; ce membre présente une élévation notable de la température fait non mentionné dans l'observation de Vignes, bien qu'il y existât vraisemblablement et. de plus, une hyperestliésie manifeste, tandis que celui du côté opposé, indemne quant au mouvement, est le siège d'une diminution notable de tous les modes de sensibilité et a conservé la température normale. En outre et c'est le point que nous voulons faire ressortir surtout peu de temps après l'accident, sans cause appréciable, une arthro- patliie se développe dans le genou du membre paraly> ■'*. tandis que. au voisinage de la région sacrée, la fesse du membre, privé de sensibilité, mais non paralysé du mouve- ment, devient le siège d'une eschare -2 .

(1) Gazette médicale de Paris, nos 6, 7, S, 1872.

(2) En raison de l'intérêt qui s'y rattache, nous rappellerons les princi- paux détails de cette observation :

Le nommé Martin, âgé de -iO ans environ, a été frappé d'un coup de poi- gnard, dans la nuit du 15 au 16 février 1871. L'arme a pénétré au niveau de la 3e vertèbre dorsale. Le trajet de la plaie est dirigé de haut en bas, d'arrière en avant et de gauche à droite. Le malade ayant été apporté im- médiatement après l'accident, on put constater qu'à ce moment déjà le mem- bre inférieur gauche était complètement paralysé du mouvement, tandis que le membre correspondant de l'autre côté ne présentait rien de semblable. Le 16 février, au matin, on note ce qui suit : membre inférieur gauche, para- lysie complète du mouvement. Le membre est dans la flaccidité complète, il n'y a pas trace de contracture, de rigidité ; il n'est pas le siège de mou- vements spasmodiques, de soubresauts. Au contraire, la sensibilité pa- raît, sur ce même membre, exagérée dans la plupart de ses modes ; le moindre contact de la peau, surtout au voisinage du pied, provoque de la dou- leur : il en est de même de la pression. Un pincement léger, le chatouille- ment, sont suivis de sensations douloureuses très-sensibles. Enfin le contact d'un corps froid produit aussi des sensations douloureuses que le malade

104 HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE.

J'emprunte le fait qui va suivre à un intéressant travail de M. W. Mùller (1); dans ce cas, l'artliropathie n'est pas si- gnalée, mais on y trouve notée, par contre, une atrophie ra- pide des muscles du membre paralysé, précédée, de plusieurs jours, par une diminution très-marquée de la contractilité faradique. Sous tous les autres rapports, l'observation de M. Mùller est en conformité avec celles de M. Viguès et de M. Joffroy. Il s'agit d'une femme de vingt-un ans qui reçut dans le dos, au niveau de la quatrième dorsale un coup de couteau; l'instrument, ainsi que le démontra plus tard l'autopsie, avait divisé complètement la moitié latérale

compare à celles qu'occasionnerait une série de piqûres . Memlre infé- rieur droit. Tous les mouvements volontaires sont parfaitement normaux ; mais, par contre, la sensibilité est à peu près complètement éteinte. Anal- gésie complète ; sensibilité au contact presque nulle. Le contact d'un corps froid s'accuse par une sensation obscure de picotement. L'insensibilité n'est pas bornée, à droite, au membre inférieur, elle remonte jusqu'au niveau du mamelon.- Les urines et les matières fécales sont rendues involontairement.

Le 24 février (8e jour), on note les mêmes phénomènes que ci-dessus; mais, de plus, on constate que la jambe gauche (paralysée du mouvement) est plus chaude que la droite. Le malade accuse une sensation de constriction ou plutôt de compression à la base du thorax.

5 mars (17e jour). Le malade accuse quelques troubles de la vision ; la pupille gauche est plus contractée que la droite ; de plus, les vaisseaux de l'oeil gauche sont plus volumineux, plus nombreux que ceux de l'œil droit. Les évacuations sont redevenues volontaires depuis deux jours. L'état des membres inférieurs n'est en rien modifié.

13 mars (25e jour). La fesse droite est devenue depuis hier le siège d'une rougeur vive, et déjà, en un point de la plaque érythémateuse, l'épiderme s'est détaché.

14 mars. Le derme est dénudé sur la fesse droite au voisinage du sacrum dans l'étendue d'une pièce de cinq francs; il est en outre ecchymose (decu- bitus acutus). Déjà, le 24 février, on avait remarqué que les mouvements imprimés au genou gauche (côté de la paralysie motrice) étaient un peu dou- loureux ; aujourd'hui, on note que cette articulation est tuméfiée, rouge, que de plus elle est le siège de douleurs spontanées s'exagéraut par les mouve- ments [arthropathie spinale).

24 mars. Une ulcération, aujourd'hui recouverte de bourgeons charnus, s'est produite sur la fesse droite au niveau de la plaque ecchymosée. Le gon- llement, la rougeur et la douleur ont à peu près complètement disparu au genou gauche.

(l) "W. Miiller. Beitrœge zur pathologisch. Anatomie und Physiologie des menschlichen Ruckenmarkes. Leipzig, 1871. Obs. I.

HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE. 105

gauche de la moelle épinière à 2 millimètres au-dessus de la troisième paire dorsale. Le jour même de l'accident on constate une paralysie complète et une hyperesthésie du membre inférieur gauche; le membre du côté opposé était anesthésié mais non paralysé. Le second jour, on note que les muscles du membre paralysé et ceux de la partie infé- rieure de l'abdomen du côté correspondant ne réagissent pas sous l'action dos excitations faradiques, tandis que sur les parties homologues du côté opposé, la contractilité élec- trique est restée normale. Le onzième jour, il s'est produit une eschare qui occupe la région sacrée et s'étend sur la fesse du côté droit. Ce jour même, on remarque que le membre paralysé est notablement atrophié et mesure, en circon- férence, de 4 à 5 centimètres de moins que le membre anesthésié. La mort survint le treizième jour. À l'autopsie, les bords de la plaie spinale parurent tuméfiés, d'une colo- ration rouge-brun ; elle était recouverte d'une mince couche purulente. Au-dessous de la plaie, le cordon latéral gauche, dans toute sa hauteur, offrait les caractères anatomiques de la myélite descendante.

L'apparition simultanée des divers troubles trophiques, signalés dans ces observations et dans quelques autres du même genre, semble accuser une cause commune. Cette cause, suivant toute apparence, n'est autre que l'extension, à certaines régions du segment inférieur de la moelle, du travail phlegmasique originairement développé au voisinage immédiat de la plaie (1).

Cela étant admis, il paraîtra légitime, en se fondant sur les faits exposés dans la leçon précédente, de rapporter

(l) Dans un travail publié récemment, j'ai cherché à établir que, à la suite des hlessures de la moelle épinière, des lésions irritatives, telles que : hypertrophie des cylindres axiles, prolifération des myélocytes, etc., peuvent être reconnues à une certaine distance de la plaie spinale, au-des- sus et au-dessous d'elle, 24 heures à peine après l'accident. (Charcot. Sur la tuméfaction des cellules nerveuses motrices et des cylindres d'axe des tubes nerveux dans certains cas de myélite. In Archiv. de physiologie, 1, 1872, p. 95, Obs. I.)

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l'atrophie rapide et générale des muscles paralysés, notés dans le cas de M. Mùller, à l'envahissement de la corne an- térieure de la substance grise du côté correspondant à la blessure, dans toute l'étendue la moelle d'où émanent les nerfs se rendant aux muscles paralysés ; l'envahissement en question ayant pu se faire, d'ailleurs, soit de proche en proche, par propagation descendante, soit par la voie indi- recte des cordons latéraux. Cette lésion de la corne anté- rieure, nous l'invoquerons encore, dans un instant, pour expliquer le développement de l'arthropathie décrite dans les observations de Viguès et de Joffroy. Pour ce qui con- cerne, maintenant, les eschares, leur apparition du côté opposé à la lésion spinale tend à établir que les fibres ner- veuses dont l'altération provoque, en pareil cas, la morti- fication du tégument externe, ne suivent pas le même trajet que celles qui influencent la nutrition des muscles et des jointures, et qu'elles s'entrecroisent, au contraire, dans la moelle, de la même manière que les fibres préposées à la transmission des impressions tactiles.

Un autre enseignement nous est fourni par les observa- tions d'hémiparaplégie consécutive à une lésion unilatérale de la moelle épinière : c'est que le décubitus aigu peut se montrer indépendant de toute hypérémie neuroparalytique, puisque nous le voyons se former là, sur le côté du corps les nerfs vaso-moteurs ne sont point affectés.

c) Je mentionnerai actuellement le cas la myélite ré- sulte, non pas, comme dans les faits qui précèdent, de la blessure ou de l'attrition de la moelle épinière, mais bien d'une influence traumatique indirecte, telle par exemple qu'un effort dans l'action de soulever un poids ; le décubitus aigu peut, dans les cas de ce genre, se produire aussi ra- pidement que s'il s'agissait d'une fracture de la colonne vertébrale ; c'est ce dont témoigne le fait suivant rapporté par M. Gull.

Un homme de 25 ans, employé dans les docks de Lon-

MYÉLITES SPONTANÉES. 107

dres ressentit dans le dos, au moment il soulevait un fardeau, une douleur subite. Il put se rendre à pied à son domicile distant d'un mille. Le surlendemain matin, au ré- veil, les membres inférieurs étaient complètement para- lysés ; deux jours plus tard, c'est-à-dire quatre jours après l'accident, une eschare avait commencé à se former à la région sacrée, et l'urine qui s'écoulait de la vessie était ammoniacale. Le malade succomba dix jours après le début de la paralysie. A l'autopsie, on reconnut après un examen attentif que les os et les ligaments de la colonne vertébrale ne présentaient aucune lésion ; au voisinage des 5e et ver- tèbres dorsales, la moelle épinière était transformée dans toute son épaisseur en un liquide épais, d'apparence muco- purulente et de couleur à la fois brune et verdâtre (1).

A l'exemple des myélites traumatiques, la myélite aiguë spontanée détermine, elle aussi, très-fréquemment, la for- mation précoce d'eschares sacrées, principalement lorsque le début s'accuse brusquement et que l'évolution est ra- pide. Pour ne pas entrer à ce propos dans de trop longs développements, je me bornerai à indiquer quelques exem- ples relatifs à cet ordre de faits. L'eschare a été signalée dès le 5e jour après le début de la paralysie dans un cas